D’or et d’oreillers – Flore Vesco

D’emblée la couverture dorée et bleutée nous met sur la voie. De la sensualité, de la délicatesse, de l’éveil amoureux, du romanesque, du fantastique… Cette montagne de matelas sur laquelle est lovée la jeune femme réveille en nous le souvenir de La princesse au petit pois. Mais cette ombre masculine l’enveloppant nous interroge ; on l’imagine volontiers bienveillante, avec une main posée sur l’épaule et l’autre sous la joue, il s’en dégage pourtant un mystère, une noirceur. Nous sommes au milieu du 19ème siècle, en Angleterre. Madame Watkins est surexcitée ; Lord Handerson, un très bon parti, cherche à se marier, et ô joie elle a justement trois filles en âge de convoler! Ce « drôle de Lord » excentrique a décidé de faire passer à ses prétendantes trois épreuves dont celle du lit vertigineux… Elles doivent passer la nuit chez lui, à Blenkinsop Castle – où il vit seule avec son majordome – sans chaperon. Scandaleux pour la convenance ! Mais on fait fi de la décence pour une rente de 80 000 livres! Bref… chacune sera congédiée au petit matin, sauf Sadima – leur servante -. Cette dernière réussit avec brio la première épreuve, et passe de longs jours avec Adrian Handerson… La jeune femme, forte et vaillante, audacieuse et sensible découvre l’homme et le château, l’histoire de sa famille… où la magie et la sorcellerie ne sont pas en reste. Il est impossible de raconter plus amplement ce conte détourné. Il se vit, se ressent! Juste lui et nous! La plume joueuse sensuelle et onirique, l’atmosphère à la Jane Austen nous traînent dans son sillon et nous happent merveilleusement. On se délecte de lire certains passages à voix haute pour faire rouler la langue tantôt délicieusement voluptueuse tantôt pêchue, tantôt drôle tantôt angoissante. On s’amuse à cueillir ici et là les références à d’autres contes. On aime l’esprit terriblement moderne de Sadima, On adore l’histoire d’amour qui se trame sous nos yeux. On tremble aussi parfois, quand sous le glacis, le château se révèle être plus « habité » qu’il en a l’air… Que dire de plus, si ce n’est de vous presser d’ouvrir ce roman et d’y plonger entièrement, profondément, sensuellement. C’est brillant!

« – Le petit pois, voyons! Vous pensez bien qu’il n’y en avait pas plus que de citrouilles et de haricots magiques. Ou de bébés qui germent dans les roses et les choux. Cette manie de masquer la réalité derrière les légumes! Ma douce, le conte du petit pois sous le matelas, c’est une soupe qu’on fait avaler aux fillettes innocentes. L’histoire réelle, celle de ce lord et des prétendantes qui couchaient chez lui, elle n’est pas pour les enfants. Il est des vérités sur l’amour, sur les nuits des jeunes filles et ce qu’elles font en leur lit, qu’on apprend en grandissant. »

 » – Je … je descendais… voir si vous voudriez de moi, dit-il. – Je montais me proposer, répondit Sadima. Et voilà que nous nous retrouvons à mi-chemin. – Oui. Quelle belle coïncidence, n’est-ce-pas? Ce n’est pas comme si j’étais descendu ces cinq derniers soirs sans que nous nous croisions, et remonté chaque fois sans avoir frappé chez vous. Pas du tout. Sadima posa sa tête contre la poitrine du jeune homme. Adrian passa la main dans ses cheveux. Il la prit par le bras et l’amena dans sa chambre. La trouille suivit, un peu derrière. »

« Sadima n’avait pas envie de lui ouvrir sa coquille. Mais cet œil désirant et nacré lui plaisait. Elle ne fit entrer que ce regard qu’il lui avait lancé. Elle referma, se replia sur elle-même, et rêva de cette œillade. Elle se la raconta encore et encore, la rejoua, la façonna à sa guise. C’était comme un grain de sable qu’elle tournait et retournait pour le lisser. Elle polissait la perle et la peau lisse s’arrondissait. L’amoureux la regardait, son œil luisait, la perle brillait. Une tension impérieuse enflait en elle. La perle pulsait comme un point, en suspension… Maintenant Sadima connaissait cette ponctuation. Elle savait se mener jusqu’au point d’exclamation, lancer le sort qui laisse le corps content. Elle avait trouvé son pouvoir. Sa jouissance était une puissance. »

Durant cette année, nous égrènons les mois avec à chaque fois un thème choisi par l’une et l’autre alternativement. Le thème de mai était Conte ou légende. Nous devions chroniquer en secret un livre s’y rapportant. Et délicieusement le découvrir ensemble aujourd’hui! Voici la chronique de Nadine

Le thème de juin sera : Le courage

D’Or et d’Oreillers, roman jeunesse de Flore Vesco, à partir de 13 ans, L’école des loisirs, mars 2021 —

Si tu avances – Cathy Ytak

C’est l’été et Katja, seize ans, est heureuse. Elle a convaincu ses parents de s’envoler seule pour le sud de la France, en Provence, rejoindre un chantier de jeunes gens. Pour les aider bénévolement à la reconstruction de murets en pierres sèches. Ce n’est évidemment pas cette réhabilitation qui l’excite tant ; là-bas, elle retrouvera Quentin, le fils du patron de son maçon de père. Katja est complètement sous le charme de ce garçon. Amoureuse, elle qui d’habitude manque d’assurance, se sent belle légère et joyeuse. Seulement, l’histoire qu’elle s’est racontée est à mille lieues de la réalité. Quentin n’éprouve aucun sentiment pour la jeune fille et ne se gêne pas de mettre les choses au point, non sans violence. Complètement déstabilisée par ses mots durs et percutants, Katja bascule dans le vide. Son existence, d’un coup, s’assombrit. Ses émotions font volte-face. Sans nuance. Un voile de chagrin, de tristesse, de colère et de souffrance mêlés l’enveloppe. Seule, sans force, brisée, une pulsion de mort surgit. La mort est la solution qui s’impose, glaciale, inexorable. Il lui faut fuir vers elle pour s’extirper de ce mal-être dévorant obsédant… L’issue pourtant ne sera pas fatale. La pulsion de vie sera plus puissante. Elle la portera grâce aux gestes aux mots aux histoires aux expériences de personnes plus âgées du chantier. Ce petit roman de Cathy Ytak est d’une grande justesse. Un texte à l’os qui décrit parfaitement l’exacerbation la fragilité et la complexité des sentiments à l’adolescence, le passage si tourmenté vers le monde des adultes, l’infiltration et l’imprégnation des illusions fantasmes et obsessions, et le choc face au réel. Un voyage pour construire des murs qui fait finalement grandir, et mûrir Katja. Qui tentera d’avancer vers la lumière, l’apaisement, le solide, le beau, même si le chemin de vie, on le sait, n’est jamais droit.

« Elle se concentre sur le but de son voyage : Quentin. Quentin qui se rapproche à chaque lacet, chaque mètre gagné sur l’altitude, dans ce paysage à la fois âpre et grandiose, pétrifié de soleil. Quand soudain se forme dans son cerveau LA question qu’elle ne s’était jamais posée. Est-ce que Quentin l’attend, elle? »

« Elle marche droit devant elle d’un pas décidé, ne sent plus la fatigue, ne sent plus rien d’autre que cette fuite en avant qui la stimule et la tétanise en même temps. Ce qui se passe alors dans son cerveau échappe à toute logique. Une idée a jailli de nulle part et s’impose, terrassant toute possibilité de réflexion rationnelle : tout arrêter, en finir, mourir. Et là, d’un coup, tout se ferme en elle, comme on claque précipitamment les volets d’une maison avant l’orage. La lumière s’éteint dans son cerveau. Dans sa poitrine tout se disloque. Son corps donne des ordres qu’elle ne comprend plus. Déserté par la vie, il se mue par réflexe comme s’il cherchait la meilleure façon de s’anéantir au-delà de la douleur. »

Durant cette année, nous égrènerons les mois avec à chaque fois un thème choisi par l’une et l’autre alternativement. Le thème d’avril était Voyage. Nous devions chroniquer en secret un livre s’y rapportant. Et délicieusement le découvrir ensemble aujourd’hui! Voici les chroniques de Nadine et Bison

Le thème d’avril sera : Conte ou légende

Si tu avances, roman jeunesse de Cathy Ytak, dès 15 ans, collection Court Toujours, éditions Nathan, février 2021 —

Filles uniques – Anne Loyer

Pékin, de nos jours. Xinxin, quinze ans, mène une vie plutôt heureuse au sein d’une famille aimante. Ses parents, grands-parents et elle, tous vivent sous le même toit. Fille unique, comme de nombreux jeunes gens de sa génération, elle porte en elle l’espoir immense des siens quant à sa réussite scolaire. Mais un événement a-priori anodin, un grain de sable dans l’engrenage bien huilé de son existence, va renverser tout sur son passage : la meilleure amie de Xinxin lui annonce l’arrivée prochaine d’un petit frère ou d’une petite sœur. L’amie est déconcertée voire démoralisée par cette nouvelle, et Xinxin elle, prend soudain conscience d’un vide, d’un manque, voire d’une souffrance d’être seule. Sans frère ni sœur à ses côtés. En évoquant ce sujet avec sa famille, la jeune fille perçoit un malaise un trouble de l’embarras. Perplexe et inquiète, elle décide de mener sa propre enquête et se met à suivre sa mère qui, régulièrement se rend à l’orphelinat… Ce qu’elle y découvrira la changera à jamais. Un enchevêtrement d’émotions va surgir en elle, au plus profond : stupeur, colère, tristesse, espérance. C’est à ce moment-là qu’elle fait la connaissance de Long, un garçon élevé « au noir » – dans l’illégalité. Car rappelons-le, en Chine, de 1979 à 2015, régnait la politique de l’enfant unique – planification des naissances pour contrôler la démographie du pays -. Une décision qui engendra douleurs déchirements et une grande détresse dans les maisonnée chinoises. Et des conséquences dramatiques ; enfants cachés, avortements clandestins, stérilisations… L’amour va cueillir les deux adolescents, et les rendre forts audacieux courageux pour faire remonter ensemble à la surface les choses du passé, les comprendre et tenter de les réparer. Retrouver la plume émouvante et pertinente d’Anne Loyer est un plaisir. Ce roman est haletant, surprenant. On ne peut qu’éprouver de l’empathie pour l’héroïne, faire sienne sa révolte. Et mieux comprendre à travers ce texte cette loi de l’enfant unique, la résistance de certaines traditions et l’ouverture, enfin, vers des libertés tellement attendues par tout un peuple.

« De m’abandonner parce que diminuée. Parce qu’en mauvaise santé. Elle m’a virée de sa vie et de son cœur vite fait bien fait parce qu’amoindrie. Une charge dont il fallait se délester. Un fardeau à oublier. Tu comprends maintenant pourquoi je cherche tant à éviter d’y penser? Les souvenirs si émouvants de mes parents se heurtent toujours à ce que je devine en arrière-plan. Il a bien fallu que des parents me jettent pour que les miens me sauvent. Mon existence ne tient que sur ce paradoxe insensé. Je suis passée d’une indifférence béante à un amour inconditionnel. Et je ne peux jamais penser le deuxième sans la première. Jamais l’un sans l’autre. Ils sont reliés de manière si étroite que j’ai parfois du mal à me livrer sans défense à l’affection éperdue de mes chers parents. Une affection qui s’est construite sur un désamour originel. »

Filles uniques, roman jeunesse d’Anne Loyer, dès 12 ans, éditions Slalom, février 2021 —

Bande de poètes – Alexandre Chardin

Quel bonheur, ce roman! En vers, du début à la fin! Un texte à dire, la poitrine ouverte, le cœur haut! Se laisser porter par sa petite musique interne, se fondre dans l’histoire, être tous les personnages à la fois, vivre toutes les situations! Car dire, c’est tellement différent, intense. Tout prend sens plus vite, plus fort. Tout parait plus vrai, plus sensible, plus proche. Les émotions sont décuplées. La lecture se fait jeu, se fait vie. On en devient réellement acteur, on mène la danse. On décide du flot, de l’intonation. On crée une harmonie. On s’approprie le texte, on fait ami-ami avec lui. On prend son temps. Et du plaisir, surtout! Bref, l’idée est belle. J’ai adoré! Alors l’histoire la voici, en quelques mots : Julien va faire sa rentrée en 6ème, mais lui, le petit bourgeois le fils du maire n’ira pas à Voltaire comme ses congénères, mais à Rostand en Zep. Et ça le démoralise. Peur de ne pas s’intégrer. D’être même lynché. De se retrouver malheureux… Et bien, dès le premier jour, il voit Nour, et son regard sur elle est comme paralysé. Un coup de foudre. Réciproque. Seulement, un gars à casquette à l’œil noir et hostile veille et protège, prêt à bondir. Le frère de Nour. Contre toute attente, Julien parviendra à se faire sa place, à devenir même un « élément » indispensable, grâce au pouvoir de la musique des mots et du chant, qui va les lier tous très fort et faire battre les cœurs et soulever les corps. Un roman poétiquement beau tendre et humain tant sur la forme que sur le fond.

« Julien est fasciné,

Son cœur s’est arrêté,

Son sang bout dans ses veines

Pour une jeune reine.

Elle est là, merveilleuse, au milieu de la foule,

C’est un joyau parfait  sorti d’un précieux moule.

Sa peau, couleur cannelle,

Le regard caramel.

Elle a le menton haut, les yeux sauvages et fiers,

La mignonne prévient : je suis une guerrière!

Ils se touchent des yeux,

Julien rejoint les cieux,

Oui, c’est un coup de foudre,

Mais l’amour sent la poudre…

Le garçon en casquette a un regard d’orage. »

« Qu’on m’laisse une chance et j’irai loin.

J’veux pas planer, j’crache sur les joints.

Quand j’me sauv’rai, on s’ra deux cœurs,

Le mien, et puis celui d’ma soeur.

Tchao résidence Les Renards!

Pour l’évasion, j’s’rai pas en r’tard.

Mais j’suis coincé dans mon bocal,

J’vais dev’nir dingue, pir’ qu’un big squale. »

— Bande de poètes, roman jeunesse d’Alexandre Chardin, dès 11 ans, Casterman, mars 2021 —

Un jour, je te mangerai – Géraldine Barbe

Avec sa petite sœur Chloé, Alexia quinze ans, est d’une violence inouïe. Sans cesse, elle la rabaisse, la bouscule, l’appelle « petite merde ». Elle lui fait payer sa venue au monde, sa place dans la maison, sa façon d’être, son calme, sa douceur, sa minceur… Chloé, douze ans, n’ose rien dire, ne réagit pas. L’habitude. L’incompréhension. Et une admiration malgré tout, pour son étrange aînée. La haine la colère la jalousie d’Alexia envers Chloé ne sont en réalité que des feintes. Des sentiments détournés. Elle n’est pas un monstre, c’est un monstre qui a envahi son corps. Un corps détesté, malmené, torturé. Son reflet dans le miroir renvoie une image d’elle déformée qu’elle prend pour réelle. Alexia se voit grosse et moche. Ce roman est glaçant, dérangeant. Mais la spirale de l’anorexie mentale est à mon sens pertinemment décrite. La rage la dépression la mésestime de soi, les orgies de nourriture les vomissements, l’impuissance de l’entourage – les parents semblent tellement perdus qu’ils ne sont que des ombres, sans réaction -. Et cette petite sœur, qui rase les murs et rêve de devenir invisible pour éviter l’implosion d’Alexia… Il faudra qu’advienne un choc, pour qu’enfin les uns et les autres prennent conscience des maux et les mettent en mots dans de bonnes mains. Une lecture sous tension constante. Dure mais terriblement efficace.

« Dans le regard d’Alexia, Chloé perçoit de l’amertume et du dégoût, de la rage difficilement contenue – et parfois plus du tout – à devoir accepter celle qu’elle est obligée de fréquenter chaque jour et pour toujours. La petite merde qui lui prend tant, qui lui prend tout. La petite sœur. Alors elle l’agresse. Une tape rapide, quelques cheveux tirés trop fort, un coup de poing entre les omoplates. Parce qu’elle s’ennuie, pour s’occuper, obtenir une réaction. Chloé esquive quand cela est possible, mais ne se défend pas vraiment ni se venge. Elle est une piètre adversaire. Devant la puissante Alexia, elle est un roseau tremblant. »

« Quand même, tout un gâteau au chocolat pour elle seule, c’est n’importe quoi. Ça fait mal au ventre, ça fait mal au cœur, ça fait grossir. Alexia parle de plus en plus souvent de grossir. Elle ne se trouve pas belle, pas comme elle voudrait. Pas assez grande, le nez pas assez petit, les cheveux pas assez longs, pas assez épais, pas assez blonds, les yeux pas assez bleus. Ses fesses, ses cuisses, ses genoux, son ventre, ses seins, etc, , rien ne va, rien n’est comme elle voudrait. Alexia se déteste. À l’entendre on dirait un monstre. Presque chaque soir, leur mère passe du temps à essayer de la calmer quand Alexia répète qu’elle est grosse, ses jambes trop ci et ses hanches et ce double menton. Chloé n’y comprend rien. c’est du chinois pour elle. De quoi parle-t-elle? Alexia a beaucoup de défauts, mais elle est jolie et vraiment pas grosse. »

Un jour, je te mangerai, roman de Géraldine Barbe, à partir de 13 ans, collection Medium +, L’école des loisirs, janvier 2021 —

La meute – Adèle Tariel

Quand elle arrive le premier jour, Léa a la boule au ventre et le cœur qui bat fort. L’angoisse de ne pas s’intégrer, l’appréhension d’être seule. L’envie de disparaître. De se fondre dans la masse. Depuis toujours, elle passe d’un établissement à un autre, au fil des mutations de sa mère. Elle est habituée. Pourtant là, c’est différent. C’est le lycée ; les élèves de sa classe se connaissent bien, les groupes sont faits, la hiérarchisation est en place. Léa comprend vite que si elle ne s’introduit pas dans le cercle des meneurs, elle ne donne pas cher de sa peau. Alors dans un souci de protection, elle se fait d’abord remarquer sur le terrain de basket où elle excelle. Puis se fait violence, en allant à l’encontre de ses propres envies et valeurs ; elle participe au lynchage du professeur d’histoire-géographie, Monsieur Fauchon. Armés de leur portable, les élèves prennent photos et vidéos provocantes. Et Léa a l’idée de créer un compte sur instagram : La meute. Les abonnés affluent en rythme avec la mise en ligne de posts obscènes. C’est l’engrenage pour Léa. Un désastre pour le prof malmené. Un roman bref percutant et poignant sur le harcèlement d’un professeur par ses élèves et l’effet de groupe dévastateur. Le récit à la première personne accentue l’immersion l’identification l’implication et la prise de conscience de la gravité de l’acte. Les mots sonnent juste, dans un flot vif, qui bouscule. Grâce à un QR code, on a accès à la lecture d’une partie du livre par l’autrice et à des fiches pédagogiques pour une étude du texte en classe. Presto, une nouvelle collection des éditions Magnard Jeunesse, au plus près des préoccupations des collégiens et lycéens, solide support pour engager réflexions et débats.

 » La Meute a désormais un public, une communauté qui attend le prochain épisode du feuilleton. On se sent admirés, aimés. C’est un sentiment grisant, qui fait tourner la tête, comme l’alcool. Deux cent abonnés. Le nombre de followers de mon compte perso explose aussi. Ça y est, j’existe dans ce lycée. »

« Quand quelqu’un est pris pour cible, l’enfer commence pour lui. Les moqueries se multiplient, en classe, dans les couloirs, dans la cour, sur le chemin du lycée, sur les réseaux, partout, tout le temps. Ça vient de n’importe qui, y compris tous ceux qu’il ne connaît pas. Certains s’acharnent sur la cible désignée, juste pour se faire bien voir par Théo et Cindy, le couple royal de ce lycée de tarés. »

« Elle dit que je ne peux pas être neutre, que si je ne fais rien, je cautionne, je suis complice. Elle dit que je suis « spect-ACTRICE », selon sa formule. Elle m’impressionne, elle a l’air libre, assumée, indépendante. Je l’admire. Mais si elle était tombée dans cette classe de fous, aurait-elle vraiment fait différemment? Est-ce moi qui n’ai aucun courage? À quel point faut-il être lâche pour ne pas réagir devant des faits qui vous révoltent, simplement pour se faire aimer des autres? Car, au final, ce n’est pas ce prof dont il est question, mais la place de chacun dans la hiérarchie de ce lycée (…). »

La meute, roman d’Adèle Tariel, à partir de 13 ans, collection Presto, Magnard Jeunesse, mars 2021 —

Tenir debout dans la nuit – Éric Pessan

Si petite, insignifiante, perdue au milieu de New-York, de la foule noctambule éclairée par les néons publicitaires, les phares, les lumières crues, Lalie marche droit devant. En fuite. Sous le choc. En lutte avec elle-même. En tête, l’obsession de tenir debout. Avancer, ne pas flancher. Malgré les dangers, l’insécurité, ces gens qui la regardent passer. Qui ne la connaissent pas, ne savent pas d’où elle vient. Son téléphone, ses papiers sont restés avec lui, là-haut. Avec ses mots à elle. Lalie seize ans ne parvient pas à formuler ce qu’elle vient de vivre. Ses seuls compagnons sont un recueil de poème de Carver et un appareil photo. À la confusion de l’instant – peur honte tristesse colère mêlées – se juxtaposent des gestes des comportements anciens : la domination de certains garçons, la phrase assassine d’une institutrice, les violences verbales quotidiennes, le corps féminin que l’on prend soin de dissimuler jusqu’à l’effacer… Elle n’a rien vu venir pourtant. Elle connaît Piotr depuis l’entrée au collège, ils sont camarades, pas plus pas moins, elle admire sa famille – beauté classe assurance richesse -. Lalie elle, vit seule avec sa mère, son père a quitté le domicile conjugal, elle n’était qu’un bébé. Chez elle, les fins de mois sont difficiles, la vie est terne – comme sa mère. Alors quand Piotr lui propose de partir à New-York pour les vacances de Pâques avec sa mère qui y travaille, Lalie est sur son petit nuage. Seulement, dès le premier soir, elle se retrouve seule avec Piotr dans un petit appartement ; la mère a rendez-vous à l’hôtel avec son amant… Piotr s’approche de Lalie, son visage est transformé. Elle n’a rien vu venir. Toute la nuit, elle marche. Un cheminement intérieur salvateur, des rencontres, des images qu’elles figent avec son appareil photo, des poèmes dont elle s’imprègne. Pas à pas, elle reprend le contrôle, s’ancre à nouveau. Debout, toujours. Un roman sur le consentement d’une justesse implacable, fort, nécessaire. À glisser dans toutes les mains adolescentes, filles et garçons. Et quand c’est NON, c’est NON!

« J’ai lu des articles, j’ai discuté avec des amis, j’ai écouté certains profs plus courageux que d’autres en parler, j’ai vu des films, j’ai lu des livres. Et je n’ai rien vu venir. Ou plutôt, non : j’ai tout vu venir, les signes étaient là, sous mes yeux, j’ai tout vu venir, mais j’ai refusé de penser que cela pouvait m’arriver à moi parce que je voulais passer des vacances sur l’autre rive de l’océan. J’ai refusé de voir. Mais quelle conne! »

« Quelque chose m’a été arraché. Mon souffle. Ma joie. Mon élan. Je suis incomplète. Comment faire pour me retrouver? »

« À cause des garçons, j’ai arrêté de porter des robes dès le CP. Pas à cause de tous les garçons, juste de ceux qui trouvent marrant de jouer à soulever les robes des filles pour connaître la couleur de leur culotte; Je me souviens très bien d’être rentrée à larmes un soir à la maison, maman m’avait questionnée jusqu’à ce que je raconte ce qui s’était passé. Elle avait prit rendez-vous avec l’institutrice, qui n’avait rien trouvé d’autre à répondre qu’à cet âge-là ce n’est pas bien grave. »

« L’un des deux marmonne une chose trop vite pour que je la saisisse, ils rient mais sont nerveux, et moi, je me sens hors de moi, alors je continue de m’énerver, je leur dis que j’en ai marre des phrases, des regards sur mon cul, des sifflements, des rires; J’en ai marre des plaisanteries, des faux compliments scabreux. « 

Tenir debout dans la nuit, roman d’Éric Pessan, dès 13 ans, collection Medium+, L’école des loisirs, mars 2020 —

Lola à la folie – Alexandre Chardin

« Chiche ou pois chiche »se lancent souvent Mathias et Jacques, deux amis pour la vie. Au collège en sixième, les inséparables ne sont pourtant pas dans la même classe – ce qui ne les empêche pas de se prêter à leur jeu favori. Des défis loufoques et drôles qu’ils mettent au point dans leur refuge secret : une forteresse en ruines pour des chevaliers astucieux et audacieux comme eux. De l’envolée de moustiques à la truite dans un faux-plafond, Mathias et Jacques apportent fantaisie légèreté et rigolades pour tous, tout en restant dans l’ombre. Mais voilà, Jacques tombe follement amoureux de Lola, une fille de la classe de Jacques, sacrément jolie et merveilleusement mystérieuse. Et ce serait justement elle qui les aurait, selon ce dernier, dénoncés au principal quant à l’odeur nauséabonde de la truite… L’amitié entre les garçons commencent à vaciller, d’autant plus qu’un énigmatique élève enchaîne les mauvais coups avec brio, sans se faire prendre, lui. Mathias, l’esprit et le cœur écartelés entre son amitié pour Jacques et son amour pour Lola – qu’il n’ose pas aborder -, se confie à sa tata Yoyo, une féministe pétillante, une extravagante motarde compréhensive à qui il peut se livrer sans tabou. Histoire d’un amour, des premiers émois, du chavirement provoqué, raconté par le principal intéressé. Mais aussi une histoire d’amitié, de bravade, d’investigations et d’imagination. Le tout écrit avec humour, tendresse et poésie.

« L’amour. Deux syllabes, mille questions, zéro réponse. Au collège, c’est le tabou puissance dix mille, le sujet-super-glissant-pire-qu’une-peau-de-banane, le truc dont personne ne parle jamais sérieusement. On essaye même de ne pas y penser, ou alors juste quand on est tout seul. On prononce ces deux syllabes le plus rarement possible et seulement avec un air trèèès dégagé et un sourire en coin, pour se marrer, se moquer, ricaner grassement au milieu des potes. Surtout, SURTOUT, ne jamais avouer à personne qu’on est amoureux, ne pas SE l’avouer à soi-même. »

« – Tu es en pleine transition, voilà tout, a-t-elle simplement dit. – Comment ça? – Tu mues. Comme un insecte, un papillon. Tu as encore les ailes froissées, mais elles vont s’ouvrir. Et j’ai dans l’idée que la bestiole qui va s’envoler ne sera pas trop moche à voir. »

« Quand je ne te vois pas, je suis un vélo sans roues. (…) Un magicien sans baguette. (…) Un poisson sans nageoires, un chevalier sans armure. (…) Quand je te vois, j’ai des murènes dans le ventre, des crabes dans le dos, des fourmis dans les doigts.(…) Tes yeux sont en or. »

Lola à la folie, roman d’Alexandre Chardin, dès 11 ans, Magnard Jeunesse, août 2020 —

Anne de Green Gables – Lucy Maud Montgomery

Fin du XIXème siècle, Île-du-Prince-Edouard – au large du Canada. De longs cheveux d’un rouge flamboyant, le visage couvert d’éphélides, un corps filiforme, Anne Shirley, orpheline, a onze ans lorsqu’elle arrive dans la vie de Marilla et Matthew Cuthbert, frère et sœur sans conjoint. Ils désiraient un garçon pour aider à la ferme et par erreur, se voient confier Anne, curieuse, enthousiaste, bavarde, sans cesse émerveillée, rêveuse, douce, mouvante, émouvante. Son imagination est aussi débordante que son flot de paroles. Elle aime les beaux mots, les grands mots ; qui une fois prononcés, prennent un supplément d’âme. Elle chérie les arbres, les fleurs, les ruisseaux. Cherche avec attention une amie, une sœur pour partager le beau le bon le doux. Partout où elle passe, elle sème sa joie de vivre, entachée parfois d’une fugace gravité – peur de l’abandon réminiscences de la disparition de ses parents – par quelques colères – engendrées par des moqueries sur sa rousseur, des injustices… -. Voulant bien faire – et donc trop faire – elle enchaîne les bêtises et autres maladresses, souvent malgré elle. Parce qu’elle veut apprendre, comprendre, rendre service, elle se met dans des situations qui la dépassent – elle se teint les cheveux en vert, marche sur un toit pour montrer son courage, verse par mégarde de l’alcool dans un gâteau… Mais le pouvoir de l’imagination sauve de tout… Et au fil des années – jusqu’à ses seize ans -, la petite communauté rurale est sous le charme de l’indispensable adorable admirable Anne de Green Gables. À lire ce premier roman de Lucy Maud Montgomery – publié en 1908, d’autres tomes suivront -, on pense forcément aux Quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott et à Alice aux pays des Merveilles de Lewis Carroll ; Anne a l’étoffe de ces filles-là. Héroïne de sa vie, féministe avant l’heure, ambitieuse, fougueuse, généreuse. Jamais elle ne dissimule ses émotions, bouscule les codes, se veut l’égale des garçons. Elle dirige son destin avec intelligence et sensibilité, et ce, toujours en accord avec la nature et autrui. Heureuse d’avoir découvert cette autrice et celle qu’elle a inventée – son cher double -, si passionnantes si volontaires si modernes. Un très beau texte glissé dans un écrin sublime.

« C’est formidable, non, de penser à tout ce qu’il reste à découvrir? Ça me rend heureuse d’être en vie – le monde est tellement intéressant! Et il ne le serait pas autant si on savait déjà tout sur tout, non? Il n’y aurait plus de place pour l’imagination, pas vrai? Mais est-ce que je parle trop? Les gens me le disent tout le temps. Vous préférez que je me taise? Si vous voulez, je me tais. Je peux me taire dès que je le décide, même si ce n’est pas facile. »

« Il faisait grand jour lorsqu’ Anne se réveilla. Un peu perdue, elle s’assit et fixa la fenêtre d’où se déversait un flot de lumière rosée et derrière laquelle quelque chose de blanc et vaporeux se balançait sur des esquisses de ciel bleu. Pendant quelques instants, elle ne sut pas où elle était. Elle fut d’abord parcourue d’un frisson délicieux, une sensation vraiment agréable – puis un horrible souvenir lui revint. Elle était à Green Gables, et on ne voulait pas d’elle parce qu’elle n’était pas un garçon! Mais c’était le matin, et oui, c’était bien un cerisier en fleurs juste là-dehors. D’un bond, elle sortit du lit et traversa la pièce. Elle remonta le châssis de la fenêtre – il résista et craqua comme s’il n’avait pas été relevé depuis longtemps, ce qui était le cas – qui s’avéra tellement grippé qu’il tient tout seul une fois ouvert. Anne s’agenouilla pour admirer cette belle matinée de juin, les yeux brillants de plaisir. n’était-ce pas magnifique? N’était-ce pas un endroit merveilleux? Même si elle ne restait pas, elle pourrait toujours s’en souvenir et imaginer qu’elle s’y trouvait. Il y avait ici tant de place pour l’imagination! »

« J’en suis arrivée à la conclusion qu’il est inutile d’essayer d’être romantique à Avolea. C’était sans doute facile de l’être derrière les murailles de Camelot, il y a des siècles de ça, mais le romanesque n’est plus apprécié de nos jours. (…) « Ne renonce pas au romanesque, Anne, murmura-t-il timidement. Un peu, c’est une bonne chose – pas trop, bien sûr -, mais gardes-en un peu, Anne, gardes-en un peu. » »

Anne de Green Gables, roman de Lucy Maud Montgomery, nouvelle traduction de l’anglais (Canada) par Hélène Charrier – première publication en 1908 -, dès 12 ans, collection Monsieur Toussaint Laventure, éditions Monsieur Toussaint Louverture, octobre 2020 —

Des yeux de loup – Alice Parriat

L’écriture d’Alice Parriat est comme la forêt qu’elle décrit ; belle mystérieuse dense généreuse envoûtante. Une forêt que Volga, une jeune fille de dix-sept ans, aime sillonner depuis sa petite enfance. Sentiers, rochers, ruisseaux, arbres, animaux, odeurs, chaleur, froidure cachette ; elle connaît tout ce qui la compose et la redécouvre pourtant à chaque fois. La forêt est changeante, en constante métamorphose. Comme elle. Comme l’adolescence et ses soubresauts. Cet hiver-là, alors qu’elle se promène avec sa mère, elle trouve l’empreinte d’un loup – ou d’une louve. Et bientôt au lycée, non loin de son village entouré de montagne, une nouvelle élève, Madeline, arrive dans sa classe : elle a des yeux de loup. Son regard, ses gestes, son esprit, son corps tout entier la fascinent. Et l’attirent. Mais Madeline est rejetée – voire harcelée – par bon nombre de lycéens, car son père est le nouveau propriétaire de la scierie – qui fait vivre la population environnante – et envisage un plan de licenciement. La grogne sociale ne se fait pas attendre. Volga se trouve alors en porte-à-faux entre ses amis qui suivent le mouvement de la révolte et Madeline qui devient son amie, son amante. Volga l’emmène découvrir la forêt et Mado l’entraîne elle, sur des chemins littéraire foulés par des poétesses. Une rencontre intellectuelle et sensuelle, belle et secrète renversée par un drame qui les éloignera l’une de l’autre. Un roman captivant proche du nature-writing.

« Même si Tu es loin, je Te regarde, Même si Tu es loin, Tu restes mienne Comme une présence qui ne peut pâlir. Comme mon paysage, Tu entoures ma vie. »

« Pour qui la connaît mal, la forêt est aussi sournoise qu’un labyrinthe. Ses sentiers tortueux bifurquent et s’entortillent, débouchent sur un rocher, un ruisseau, un ravin. La sève des résineux vous ensorcelle les sens. Cette branche qui craque et chuinte, ce bosquet qui chuchote, que dissimulent-ils? Une taupe? Un engoulevent? Ou simplement la bise joueuse riant sous cape? Certains jurent d’avoir vu des spectres rôder au crépuscule entre les ombres, à l’affût d’une proie…« 

« J’ai agrippé ses doigts. Je les ai serrés jusqu’à ce que sa paume adhère à la mienne et que nos jointures craquent. Jusqu’à ce que je sente son pouls s’harmoniser au mien. Comme si c’était la première fois. Comme si c’était la dernière. Devant mes yeux, les images des mois écoulés défilaient à toute allure. Notre rencontre, nos tâtonnements. Nos coups d’œil à la dérobée et nos conversations entrecoupées de rires ; la manière dont on s’était apprivoisées, petit à petit, parce qu’on était toutes les deux des filles sauvages ; la manière dont on s’était aimées, à bout de souffle, parce qu’on ne savait pas faire autrement. »

 » Tout à coup, les reliefs du carnet ont frémi sous mes doigts. Je n’avais jamais songé à écrire un jour. Mes histoires, je les partageais avec ceux que j’aimais, pour le plaisir, pour la saveur des mots roulant hors de ma bouche et le frisson qu’ils me procuraient. Des illusions glanées au gré de la rivière, au rythme des saisons et des rêves infusés dans son eau toujours trop froide. Il fallait les polir, jour après jour, leur offrir un écrin afin de les faire briller dans les yeux des autres. »

Des yeux de loup, roman d’Alice Parriat, dès 13 ans, Médium +, L’école des loisirs, janvier 2020 —