La valse des arbres et du ciel – Jean-Michel Guenassia

dsc00188Marguerite a dix-neuf ans en 1890. Orpheline de mère, elle vit avec son père le docteur Gachet et son jeune frère à Auvers-sur-Oise. Perspicace et spirituelle, elle souffre de son assujettisement. En cet fin de siècle, les femmes ont très peu de droits, demeurent sous la coupe de leur père jusqu’à leur mariage, souvent arrangé. Marguerite, elle, a soif de connaissance et de liberté. Ses rêves sont emplis d’Amérique et de tableaux. Elle aimerait tant peindre… seulement en France l’école des Beaux-Arts est interdite aux femmes. Traditions et convenances l’oppressent chaque jour davantage. Curieusement – sûrement pour s’enorgueillir auprès de ses pairs – , le docteur Gachet l’autorise à passer le baccalauréat qu’elle obtient aisément. Malgré ce diplôme, il lui est impossible d’entreprendre des études ; son père veut la marier avec le fils d’un collègue pharmacien… une existence morne et ennuyeuse l’attend.
Pourtant, rien ne va se passer comme prévu. Le docteur, collectionneur d’art et peintre lui-même, compte, entre autres, parmi ses patients, Pissaro et Cézanne – et se fait régulièrement payer en « tableaux ». Passionné par l’impressionnisme – mouvement pictural plutôt critiqué –, il est connu pour avoir accueilli et soigné Vincent Van Gogh, atteint de troubles mentaux, à sa sortie de l’asile d’aliénés.
Le peintre s’installe à l’auberge de Ravoux, à Auvers-sur-Oise en Mai 1890, la lumière et les paysages qui s’offrent à lui le subjuguent. Soixante-quinze toiles seront peintes en soixante-dix jours, jusqu’à son supposé suicide. Les zones d’ombres qui entourent sa mort ont apporté de la matière à l’auteur. Ce dernier comble ainsi le vide par son imagination au souffle romanesque.
Les situations inventées côtoient avec audace et finesse la réalité, appuyée par des documents – articles de presse et autres lettres de Vincent et son frère Théo –. Marguerite tombe éperdument amoureuse de Vincent, ce dernier succombe aux charmes de la jeune femme mais elle ne fait évidemment pas le poids avec la peinture qui l’obsède et le possède, le docteur Gachet devient sous la plume de Guenassia un être odieux, cupide et intéressé.
L’histoire est vraisemblable, la promenade agréable, la construction narrative judicieuse, l’époque parfaitement dessinée. Il m’a toutefois manqué quelques nuances chez les personnages : Marguerite est trop exaltée et Vincent pas assez…

« Je suis passée mille fois devant ce paysage qui était pour moi semblable à mille autres vallons paisibles, mais ce que je vois n’est ni banal ni paisible, ce sont les blés et les arbres qui vibrent comme s’ils étaient vivants et passionnés de vivre, avec le vent qui les bouleverse, le jaune qui s’agite de partout et le vert qui tremble. Il tourne lentement la tête, me découvre aussi figée que la femme de Loth, il ne se demande pas ce que je fais là, puis il me rejoint, il a de la couleur rouge et du jaune sur la main droite, des taches sur le bas de sa chemise. Ce qui me sidère, ce n’est pas seulement ce tableau inouï, c’est qu’il ait réussi à le peindre en moins de deux heures, et qu’il soit abouti et parfait. »

« C’est ainsi qu’on agit en ce monde. Vous n’existez pas pour ce que vous faites, mais pour la place que vous occupez dans la société. »

« Quand je repense à cette époque, je me dis que nous vivions sur une autre planète, dans un monde qui n’a strictement rien à voir avec celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui ; malgré sa rudesse apparente, et cette brutalité qui nous effrayait tant, notre société était autrement plus humaine que celle de notre temps, si policée, si courtoise, mais ô combien hypocrite. Des mots qui jalonnent aujourd’hui nos conversations n’avaient aucun sens : guerre mondiale, génocide, bombe atomique ne voulaient rien dire pour nous ; la plus cruelle des guerres du passé avait fait moins de morts qu’une seule journée à Verdun. Nous étions tous persuadés que l’avenir serait radieux, que le passage au xx ème siècle ouvrirait pour l’humanité une période de paix et de bonheur, que la science, les progrès de la médecine allaient régler nos problèmes et nous faire entrer dans un âge d’or. Naïfs que nous étions ! Comment avons-nous pu être aveugles à ce point ? Nous étions au bord du précipice, et nous avancions les yeux fermés, avec gaieté et inconscience. »

Lettre de Vincent à Théo, 15 novembre 1878 : « L’art est si riche, si une personne peut seulement se souvenir de ce qu’elle a vu, elle ne manquera jamais d’alimenter ses pensées et ne sera plus vraiment seule, jamais seule. »

La valse des arbres et du ciel, roman de Jean-Michel Guenassia, Éditions Albin Michel, Août 2016 —

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13 commentaires sur “La valse des arbres et du ciel – Jean-Michel Guenassia

  1. J’attendais d’écrire mon billet avant de lire le tien 😉 Je suis d’accord, cela manque parfois de finesse, Marguerite en fait trop et Vincent pas assez, mais j’ai en effet trouvé que la promenade était en effet agréable.

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