Fin du XIXème siècle, Île-du-Prince-Edouard – au large du Canada. De longs cheveux d’un rouge flamboyant, le visage couvert d’éphélides, un corps filiforme, Anne Shirley, orpheline, a onze ans lorsqu’elle arrive dans la vie de Marilla et Matthew Cuthbert, frère et sœur sans conjoint. Ils désiraient un garçon pour aider à la ferme et par erreur, se voient confier Anne, curieuse, enthousiaste, bavarde, sans cesse émerveillée, rêveuse, douce, mouvante, émouvante. Son imagination est aussi débordante que son flot de paroles. Elle aime les beaux mots, les grands mots ; qui une fois prononcés, prennent un supplément d’âme. Elle chérie les arbres, les fleurs, les ruisseaux. Cherche avec attention une amie, une sœur pour partager le beau le bon le doux. Partout où elle passe, elle sème sa joie de vivre, entachée parfois d’une fugace gravité – peur de l’abandon réminiscences de la disparition de ses parents – par quelques colères – engendrées par des moqueries sur sa rousseur, des injustices… -. Voulant bien faire – et donc trop faire – elle enchaîne les bêtises et autres maladresses, souvent malgré elle. Parce qu’elle veut apprendre, comprendre, rendre service, elle se met dans des situations qui la dépassent – elle se teint les cheveux en vert, marche sur un toit pour montrer son courage, verse par mégarde de l’alcool dans un gâteau… Mais le pouvoir de l’imagination sauve de tout… Et au fil des années – jusqu’à ses seize ans -, la petite communauté rurale est sous le charme de l’indispensable adorable admirable Anne de Green Gables. À lire ce premier roman de Lucy Maud Montgomery – publié en 1908, d’autres tomes suivront -, on pense forcément aux Quatre filles du docteur March de Louisa May Alcott et à Alice aux pays des Merveilles de Lewis Carroll ; Anne a l’étoffe de ces filles-là. Héroïne de sa vie, féministe avant l’heure, ambitieuse, fougueuse, généreuse. Jamais elle ne dissimule ses émotions, bouscule les codes, se veut l’égale des garçons. Elle dirige son destin avec intelligence et sensibilité, et ce, toujours en accord avec la nature et autrui. Heureuse d’avoir découvert cette autrice et celle qu’elle a inventée – son cher double -, si passionnantes si volontaires si modernes. Un très beau texte glissé dans un écrin sublime.
« C’est formidable, non, de penser à tout ce qu’il reste à découvrir? Ça me rend heureuse d’être en vie – le monde est tellement intéressant! Et il ne le serait pas autant si on savait déjà tout sur tout, non? Il n’y aurait plus de place pour l’imagination, pas vrai? Mais est-ce que je parle trop? Les gens me le disent tout le temps. Vous préférez que je me taise? Si vous voulez, je me tais. Je peux me taire dès que je le décide, même si ce n’est pas facile. »
« Il faisait grand jour lorsqu’ Anne se réveilla. Un peu perdue, elle s’assit et fixa la fenêtre d’où se déversait un flot de lumière rosée et derrière laquelle quelque chose de blanc et vaporeux se balançait sur des esquisses de ciel bleu. Pendant quelques instants, elle ne sut pas où elle était. Elle fut d’abord parcourue d’un frisson délicieux, une sensation vraiment agréable – puis un horrible souvenir lui revint. Elle était à Green Gables, et on ne voulait pas d’elle parce qu’elle n’était pas un garçon! Mais c’était le matin, et oui, c’était bien un cerisier en fleurs juste là-dehors. D’un bond, elle sortit du lit et traversa la pièce. Elle remonta le châssis de la fenêtre – il résista et craqua comme s’il n’avait pas été relevé depuis longtemps, ce qui était le cas – qui s’avéra tellement grippé qu’il tient tout seul une fois ouvert. Anne s’agenouilla pour admirer cette belle matinée de juin, les yeux brillants de plaisir. n’était-ce pas magnifique? N’était-ce pas un endroit merveilleux? Même si elle ne restait pas, elle pourrait toujours s’en souvenir et imaginer qu’elle s’y trouvait. Il y avait ici tant de place pour l’imagination! »
« J’en suis arrivée à la conclusion qu’il est inutile d’essayer d’être romantique à Avolea. C’était sans doute facile de l’être derrière les murailles de Camelot, il y a des siècles de ça, mais le romanesque n’est plus apprécié de nos jours. (…) « Ne renonce pas au romanesque, Anne, murmura-t-il timidement. Un peu, c’est une bonne chose – pas trop, bien sûr -, mais gardes-en un peu, Anne, gardes-en un peu. » »
— Anne de Green Gables, roman de Lucy Maud Montgomery, nouvelle traduction de l’anglais (Canada) par Hélène Charrier – première publication en 1908 -, dès 12 ans, collection Monsieur Toussaint Laventure, éditions Monsieur Toussaint Louverture, octobre 2020 —
Je n’ai jamais lu ce classique mais cette belle édition me donne envie de me lancer enfin !
Je ne l’avais jamais lu non plus. Une belle lecture!