Là où naissent les nuages – Annelise Heurtier

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Elle sait bien, Amélia, que sa vie en ferait rêver plus d’un. Seize ans, fille unique, des parents aimants, aisés – l’un est chirurgien, l’autre est juge aux affaires familiales – , des vacances paradisiaques, un accès à la culture, un joli appartement dans un beau quartier parisien… Pourtant, ce nid douillet, ce père et cette mère si parfaits, si attentionnés, si beaux, si intelligents encombrent son existence. Elle ne parvient pas à s’imposer, à trouver sa place, se trouvant bien médiocre face à eux. La jeune fille pose un regard dur sur elle. Car elle souffre de la comparaison. Alors, Amélia mange… pour se remplir, pour occuper l’espace… Elle a tout pour être heureuse et elle est si triste. Elle se sent si vide à l’intérieur.

L’arrivée d’une lettre va changer sa vie à jamais. La missive vient d’un pays lointain, la Mongolie. On propose à sa mère une mission humanitaire cet été à Oulan-Bator, endroit qu’elle connait bien pour s’y être rendue des années auparavant. Trop prise par son travail à Paris, son mari pense y aller avec Amélia.

Si l’idée de partir en Mongolie ne l’enchante guère, une petite voix lui souffle de tenter l’expérience… et quand son père lui annonce que finalement elle devra y aller seule, le projet commence à prendre de l’importance à ses yeux. Au moins, il se passe quelque chose dans sa vie. L’aventure se profile.

Amélia découvre avec stupeur un univers à mille lieux du sien : les jeunes enfants livrés à eux-même dans les rues, la misère, la violence, les maladies… Sans ménagement, les autres bénévoles de l’association plongent la jeune fille dans un monde d’une férocité implacable.

Déstabilisée et déroutée les premiers jours, Amélia va grandir au contact de ces enfants des rues et de leurs conditions de vie. Les gâteaux et autres friandises ne lui font plus du tout envie, elle se remplit désormais de la générosité et du courage des enfants et des membres de l’association. Amélia se sent enfin utile. Ses parents ne sont pas là. Elle ne peut compter que sur elle. Prendre des décisions. Juger le bien et le mal. Aiguiser son regard sur le monde. Prendre de la distance.

Elle rentrera à Paris avec l’image à jamais gravée dans son esprit du sourire de Mukshuk, petit garçon qui, elle le sait, sera heureux dans sa nouvelle famille, loin de la violence urbaine, dans ce petit coin à l’écart du monde où, parait-il, naissent les nuages, et où elle-même y aurait une attache…

Un roman d’une jolie sensibilité qui, à aucun moment ne dissimule une réalité parfois âpre. Amélia est un personnage tout à fait crédible avec ses doutes et ses peines, qui sera surprise par sa témérité et  sa volonté. En regardant les autres vivre, en les soutenant, en les aimant, elle apprendra à se connaître et à s’apprécier, enfin. Une histoire poignante, tendre et délicate.

 

« Le désastre de ma vie, ne pas aimer celle que j’étais, mes parents aussi en portaient la responsabilité. Et pas seulement à cause des gènes qu’ils ne m’avaient pas transmis. S’ils avaient été moins lumineux, ma mère surtout, peut-être qu’à l’inverse, moi, j’aurais pu l’être un peu plus. (…) Ma médiocrité était à l’aune de leur perfection. »

« On entrait dans Oulan-Bator (…). La ville donnait une impression d’anarchie architecturale totale. De grands buildings flambant neufs côtoyaient de petites yourtes. Des bâtiments hérités de l’époque russe, mastodondes sinistres et délabrés, enlaidissaient la vue. On aurait dit des squats, et j’imagine qu’une visite à l’intérieur ne m’aurait pas donné tort. Partout, des grues, des chantiers de construction, de la poussière, des matériaux entassés. L’air était chargé. Par association d’idées, je me suis mise à tousser. »

« J’ai pensé à Mukshuk, et je me suis demandé ce qu’il était en train de faire à ce même moment. Peut-être qu’il avait la joue collée contre le ventre chaud et doux d’une soyeuse petite chèvre, essayant de faire couler le lait des trayons humides. Peut-être qu’il tournait et tournait encore l’aïrag avec le bâton plus grand que lui, le bras engourdi. Peut-être qu’il était juché sur un cheval, écoutant les instructions de Narantsetseg. Qu’il regardait Dalataï entraîner son aigle, rêvant au jour de ses 13 ans où il sentirait enfin le poids de son premier faucon sur son bras. Qu’il observait les hommes plonger les moutons dans le torrent glacé, pour un dernier shampoing avant la tonte. J’espère qu’il pensait à tout, sauf à ce qui lui faisait mal. »

Autre roman d’Annelise Heurtier : Sweet Sixteen

Là où naissent les nuages, roman pour ados d’Annelise Heurtier, Editions Casterman, Avril 2014 –

16 commentaires sur “Là où naissent les nuages – Annelise Heurtier

  1. Que ca a l’air beau ! Tu en parles avec beaucoup de sensibilité. Si j’ai quelques heures, je m’y plongerais. Merci.

    1. Un très beau roman sur l’adolescence et son mal-être, et un regard juste sur l’aide humanitaire, et sur un pays que je connaissais très peu…

    1. Les propos sont vraiment intéressants : l’adolescence et son mal-être, l’humanitaire, les conditions de vie des enfants en Mongolie, pays entre modernité et tradition… un bon roman.

  2. D’abord, quel beau titre et quelle excellente critique Nadael. Les livres qui traitent de l’adolescence tumultueuse sont toujours de bons rendez-vous, à mes yeux. Les sentiments sont à fleur de peau, authentiques, explosifs. J’adore…

    1. Le titre est très beau en effet, plein de poésie. Une jolie plume et un non moins beau ressenti de l’auteure face à cette adolescence pas toujours facile à vivre.

  3. Je me méfie toujours des romans estampillés « Jeunesse » mais quand la critique (et le billet^^) est aussi bonne, je me laisserais presque tenter ! 😉

  4. J’ai mis en lien votre blog sur le site du Collège Paul Verlaine, j’espère que cela ne vous dérangera pas ! Merci de vos lectures partagées!

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