Les liens du mariage – J. Courtney Sullivan

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Après avoir observé et analysé les rouages de l’amitié dans Les débutantes, disséqué les relations familiales entre trois générations de femmes dans Maine, J.Courtney Sullivan se penche cette fois sur le mariage et ses ramifications : symbole, engagement, attachement, le « grand jour », le quotidien, le côté sacré, conventionnel, artificiel, son rejet aussi, ses promesses, ses déconvenus… et utilise, judicieusement, comme ligne directrice, l’emblème du lien amoureux éternel, la bague de fiançaille réhaussée d’un diamant.

Il est question de l’illustre pierre précieuse dès les premières lignes du roman. Nous sommes en 1947 aux Etats-Unis, Frances Gerety, une pionnière dans la publicité, doit trouver un slogan pour le compte de son client De Beers, un célèbre joailler, qui souhaite faire naître chez la future mariée le besoin psychologique, la nécessité de posséder un diamant… et c’est au milieu d’une courte nuit que Frances griffonne sur un morceau de papier, les yeux embués de sommeil les quelques mots qui résonnent encore aujourd’hui : Diamond is forever (Le diamant est éternel).

L’auteure explore cette institution qu’est le mariage à travers les époques (de 1947 à 2013), dans lesquelles se débattent des personnages de niveaux sociaux, de cultures et d’origines différentes. On suit le parcours de vie de Frances (qui a réellement existé), une femme carriériste, assumant son ambition personnelle et son célibat. On découvre Evelyne dans les années soixante-dix, un train de vie confortable, un mari aimant, mais un fils unique qui la choque beaucoup lorsqu’il lui annonce son divorce, chose alors scandaleuse. James, quant à lui, a bien du mal à joindre les deux bouts pour faire vivre sa petite famille, la fin des années quatre-vingt est difficile pour tout le monde. Ambulancier, déprimé par le malheur qu’il côtoie quotidiennement dans son travail. Il a peur de sombrer. Delphine, elle, est française. Nous sommes en 2003. Mariée avec Henri depuis quelques années, elle tombe éperduement amoureuse d’un jeune homme américain, violoniste. Elle quitte tout pour lui et débarque aux Etats-Unis. Déracinée, troublée, elle ne parvient pas à oublier Henri qui l’attend de l’autre côté du pacifique. Nous rencontrons enfin Kate, une jeune mère de famille d’aujourd’hui qui n’a pas hésité à laisser son travail pour s’occuper de sa fille. Elle qui a toujours fuit les mariages n’a pas pu se défiler cette fois-ci. Son cousin gay (un des mariés) lui a confié la responsabilité des alliances.

Avec un réalisme parfois déconcertant (roman très documenté, très détaillé), l’auteure tisse l’évolution du mariage des années quarante à nos jours. Une exploration « sociologique » intéressante. Le portrait qu’elle fait des hommes et des femmes est juste, il n’y a pas d’excès. Elle les dépeint avec naturel et simplicité dans leur environnement et dans leur époque. À aucun moment, elle ne les juge. En revanche, contrairement à ses deux précédents romans, on a ici plusieurs histoires indépendantes qui s’alternent. Le fait que ces vies ne se croisent pas (ou si peu) est dommage. Malgré cela, ce roman reste plaisant. J. Courtney Sullivan est une auteure à suivre.

«  Elle joua avec sa bague de fiançailles, une habitude qui trahissait sa nervosité. Evelyne avait porté ce solitaire depuis tant d’années qu’on pouvait voir une fine ligne blanche de peau sous l’alliance, comme si la bague faisait office de bouclier contre l’âge et le temps sec, le soleil et les rides, et tout le reste. »

« Mais, au fond, elle haïssait les photos de mariage et la façon dont la mariée levait son bouquet en signe de victoire après avoir déclaré « oui », comme si elle venait de remporter une compétition sportive. »

« Kate se demandait perpétuellement comment parvenir à agir au mieux dans un monde corrompu. (…) Tous les jours, elle s’inquiétait pour (liste non exhaustive) : les enfants qui mourraient de faim en Afrique, les produits chimiques dans l’alimentation de sa fille et dans l’eau du robinet. La corruption à Washington et dans le reste du monde. La pauvreté, les viols au Congo, les viols dans les universités américaines. Le plastique. Le pétrole. Les publicités pour la bière dans lesquelles les hommes étaient présentés comme des abrutis uniquement intéressés par le foot et les femmes, pestes fascinées par le shopping. Les dangers d’Internet. L’origine de tous les produits du quotidien : viande, vêtements, chaussures, téléphones portables. Le sort des ours polaires. Les kardashian. La Chine. Le réel pouvoir d’Howard Stern, de Rush Limbaugh et de Glenn Beck et les puits sans fond du porno en ligne. Les cancers que les membres de sa famille ne manqueraient pas d’attraper à force de fumer, de réchauffer les aliments au micro-onde, de s’exposer au soleil, d’utiliser des déodorants, bref de céder à tout ce qui rend la vie moderne un peu plus pratique et supportable. »

« Dan et elle se mettaient en quatre pour l’éducation de leur fille : l’air de la campagne, des fruits et des légumes bio, une école Montessori l’an prochain qui allait leur coûter les yeux de la tête, les jouets les plus neutres qui soient pour ne tomber dans aucun clicés sexiste… Et pourtant, Ava n’avait jamais paru aussi heureuse qu’aujourd’hui avec ses ongles rose vif et ses cheveux laqués. »

« En France, c’est différent, les petites filles arrachent les pétales des fleurs en disant : « il m’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout » puis recommencent. Mais aux Etats-Unis, c’est noir ou blanc, les nuances n’existent pas. »

Autres romans de J. Courtney Sullivan : Les débutantes, Maine

challengeromancièresaméricaines

Les liens du mariage, roman de J. Courtney Sullivan, Editions Rue Fromentin, Mai 2014 —

23 commentaires sur “Les liens du mariage – J. Courtney Sullivan

  1. J’ai lu les deux premiers que j’avais beaucoup aimés, chacun pour diverses raisons, je devais recevoir celui-ci mais visiblement les Editions Fromentin m’ont oubliée (:D) et au vu des billets déjà lus chez d’autres, j’ai l’impression qu’elle se « répète », que ça tourne un peu en rond… Ce n’est qu’une impression, si je le lis un jour, je développerais ! 🙂

    1. Il est vrai qu’elle se répète un peu… le portrait de femmes sur plusieurs décennies, l’évolution de la société américaine… sa plume reste cependant très agréable, et ses histoires si détaillées soient-elles sont bien ficelées.Cela dit, j’ai préféré ses romans précédents.

  2. Je l’ai repéré aussi ;0) Mais je lirais d’abord « Maine » qui attend encore dans ma PAL !! Il m’attire un peu moins celui là, mais je serais peut-être surprise agréablement…

    1. Maine est sans conteste mon préféré des trois. Ce qui m’a déçue dans Les liens du mariage, c’est que les 5 histoires sont quasi-indépendantes. J’aurai aimé que les existences s’enchevêtrent…

    1. Maine est vraiment un très bon roman. L’auteure y parle des liens familiaux « féminins », les non-dits, les secrets, les jalousies, les reproches… un roman qui sonne juste.

  3. J’ai beaucoup aimé « Les débutantes » et je dois lire très bientôt  » Maine » Logiquement je devrais continuer avec ce troisième livre aussi.

    1. En effet, j’ai particulièrement aimé Maine. Les existences de femmes d’une même famille et de générations différentes : fort, émouvant, sensible et si juste.

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