Danser – Astrid Éliard

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Danser. Un seul verbe pour titre. Qui, sitôt prononcé s’anime. Une petite musique monte d’abord puis les gestes viennent, élégants et majestueux, émouvants et gracieux. Chine, Delphine et Stéphane ne rêvent que de ça : danser. Le jour, la nuit, pas de pause, pas d’autres pensées que la danse. C’est le pivot de leur existence, le coeur. C’est ce qui les fait se lever le matin, s’endormir le soir. C’est leur oxygène, leur bouteille à la mer. Ces trois jeunes gens ont tout misé sur leur étoile, qui brille au loin. L’atteindre est leur souhait le plus cher, la décrocher, leur espoir le plus grand. Aujourd’hui petits rats, demain étoiles de l’Opéra de Paris.
Ils viennent d’ici et là en France, de milieux sociaux différents, de parcours divers. Tous les trois ont intégré l’illustre école de danse, réputée à travers le monde. Ils ont quitté leur famille, leurs attaches, leurs habitudes au nom de leur passion. Le visage souvent grave – d’enfants qui ont grandi plus vite que les autres –, l’esprit volontaire et combatif, l’attitude responsable, le discours mesuré, et le corps malléable qui se tend, s’articule, se relâche, souffre. Car l’apprentissage de la danse passe par la souffrance, inéluctable. Jamais de plainte ni de soupir. Des doutes et des angoisses parfois, des boules au ventre, une gorge qui se noue. La cohabitation est difficile quelquefois avec les autres danseurs… l’adolescence et ses tourments, le grand chambardement des sentiments. Mais la passion est toujours là, quoiqu’il arrive, solide, forte et imperturbable.
Danser. Six lettres qui contiennent toute la vie de Chine, Delphine et Stéphane, des lettres fragiles tenues par un fil, qui, à tout moment peut se rompre.
Avec empathie, je suis entrée dans ce monde – rigoureux et féroce – des petits rats de l’Opéra de Paris. J’ai écouté leurs voix : tour à tour passionnées, révoltées, tristes, joyeuses, déterminées, touchantes, grinçantes, timides, amoureuses et j’ai compris leurs doutes, leur rage et leur amour pour la danse. J’ai aimé les voir évoluer sur la scène de leur existence où le réel, le rêve, la beauté et la souffrance se mêlent sans cesse dans un ballet de sentiments et de sensations.

 « C’est frappant quand elles sont sur les pointes. Ça leur allonge les jambes et les bras, leur affine les chevilles, la taille. Je sais pas qui a inventé les pointes, mais j’imagine un putain de fétichiste, un type qui devait penser que l’idéal féminin est concentré dans le pied. Pas dans les seins, les fesses, non, ça c’est pour les mecs qui n’y connaissent rien. Dans le pied. La cambrure du cou-de-pied. Depuis que j’ai découvert ça, je déshabille tous les pieds que je croise ici. »

« Métier, passion… Le plus dur, je crois, est de devoir décider maintenant, comme si on n’avait que quelques secondes pour monter dans un train pour un trajet très long, un train sans arrêt et sans retour en arrière possible. Faut pas se gourer de destination. C’est con, mais je suis parfois un peu triste à l’idée que je ne ressemblerai jamais à ma mère, une femme ronde de partout, qui a une incroyable collection de tabliers et de livres de cuisine. Le genre de bonne femme, si tu la croises dans la rue, tu te dis qu’elle a eu au moins quatre enfants. Les danseuses sont plus sèches, elles ont les os « pointus », peut-être vieillissent-elles moins bien, même si elles se font appeler Mademoiselle toute leur vie, et qu’elles gardent leurs cheveux longs, comme les jeunes filles. C’est la scène qui les rend belles, d’une beauté éphémère, car en vrai elles sont toujours un peu… décevantes, comme ternies par le monde réel. »

« Ici, il ne se passe pas un jour sans qu’on nous raconte l’histoire d’une fille qui a tout abandonné après une fracture. On nous répète qu’on est cassable, qu’une mauvais chute peut tout faire foirer – c’est ce que me dit Mlle Laroche pour que j’apprenne mes verbes irréguliers : si je me casse une jambe, au moins je saurai que seek-sought-sought, je pourrai passer mon bac, faire des études et décrocher un métier – (…) »

Danser, roman d’Astrid Éliard, Mercure de France, Février 2016 —

10 commentaires sur “Danser – Astrid Éliard

  1. Très intéressant… Je pense que le milieux de la danse doit être un milieu très dur, pas seulement physiquement mais je pense qu’ils ne doivent pas se faire de cadeaux entre eux ;0)

  2. J’ai adoré la vidéo, merci pour cet excellent moment!
    Rêver de danser et aller au bout de ses rêves, comme toutes passions, il n’y a rien de plus beau. Touchée par ce roman…
    Je t’embrasse fort ma Nadège

    1. J’ai trouvé que la vidéo collait bien avec le roman! On y trouve des ados confrontés à leurs « problèmes » d’ados dans le monde de la danse, avec sa rigueur, son exigence… un joli roman sensible et vrai qui devrait te plaire. Je t’embrasse.

  3. c’est un milieu qui me faisait complètement rêver, petite. J’ai dansé jusqu’à 13-14 ans et maintenant c’est ma fille de 7 ans qui semble s’y plaire… Je note!

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