Elle habitait avec Otto dans une petite maison jaune, perchée tout là-haut sur une colline, entourée d’autres maisons, toutes collées les unes aux autres. Elle, c’était Ada. Mais Ada n’est plus. Depuis son décès, son mari Otto erre de pièce en pièce, en pyjama. Plus de cinquante ans de mariage à vivre côte à côte : « Ni enfants, ni chiens, ni chats, pas même un lapin ». Etre ensemble, rien que tous les deux, voilà ce qu’ils souhaitaient, voilà ce qu’ils avaient eu. Ils se connaissaient tellement bien qu’ils avaient fini par se ressembler physiquement. Ils s’enthousiasmaient devant les documentaires animaliers qu’ils regardaient en boucles, adoraient cuisiner le chou fleur, faisaient des parties endiablées de ping-pong, passaient de longues heures devant des puzzles…
À l’inverse d’Otto, Ada était une personne virevoltante et altruiste. Elle allait et venait dans le quartier, rentrait et sortait de toutes les foyers alentour. Elle discutait quotidiennement avec les voisins, leur donnait des conseils, écoutait leurs secrets. Ada était l’âme du quartier, une petite abeille qui butinait chez l’un, chez l’autre et rapportait à la maison le fruit de sa récolte, racontant tout à Otto.
Otto sortait rarement, ils voyaient ses voisins à travers les yeux d’Ada. Et entendait leurs bruits aussi. Car il y en avait du vacarme dans le quartier ; entre les aboiements hystériques des chiens de Teresa et les chansons qu’Anibal le facteur hurlaient à chaque tournée – un facteur fantaisiste qui faisait exprès de se tromper de boite aux lettres pour entretenir le lien social –. Et puis il y avait le brouhaha des discussions entre voisins dans la rue ; Iolanda la férue de rites hindous, Nico un jeune homme qui travaillait à la pharmacie du coin passionné par les effets indésirables des médicaments, Taniguchi un centenaire atteint d’alzeihmer qui croyait que la Seconde guerre mondiale n’était pas terminée, Mariana la jeune épousée amatrice d’anthropologie dont le mari n’était jamais là…
Otto, rempli de chagrin et de solitude enchaîne les insomnies – malgré les tisanes de laitue –, et est persuadé que quelque chose ne tourne pas rond dans le voisinage. Il a la terrible impression qu’on lui dissimule un secret.
Une galerie de personnages hauts en couleur et attachants à souhait, du burlesque, des enchevêtrements de petites histoires, des allers et retours dans le passé, des drôleries, des moments d’une tendresse infinie, une intrigue policière… un premier roman foisonnant d’idées, qui évoque la perte d’un être cher avec une légèreté, feinte évidemment, et nous donne le sourire aux lèvres. Un livre qui fait du bien.
« Lorsque Ada est morte, le linge n’avait même pas eu le temps de sécher. L’élastique du jogging était encore humide, les grosses chaussettes, les T-shirts et les serviettes toujours sur le fil. C’était la pagaille : un foulard trempant dans un seau, des bocaux à recycler abandonnés dans l’évier, le lit défait, des paquets de gâteaux entamés sur le canapé – en plus, Ada était partie sans arroser les plantes. Les objets ne respiraient plus, ils attendaient. Depuis qu’Ada n’était plus là, la maison n’était que tiroirs vides. »
« Il pensait beaucoup à la mort, à ce que ça ferait de dormir pour l’éternité. Pendant que les heures défilaient, il s’efforçait de rester immobile en faisant mine d’avoir rendu l’âme ; il essayait d’imaginer comment ce serait d’avoir un corps sans vie, flottant dans un vide éternel, et de ne plus jamais ouvrir les yeux, toutes ces choses joyeuses et édifiantes auxquelles on songe quand on n’arrive pas à dormir. Il essayait de se sentir dans la peau d’un cadavre étouffant dans un cercueil verni, six pieds sous terre. Se demandait de quelle façon sa mort surviendrait, s’il allait beaucoup souffrir et à quoi ressemblerait ses dernières heures. À vrai dire, il n’avait pas tellement besoin de s’interroger, car il le savait pertinemment : ses dernières heures auraient un arrière-goût de laitue, exactement comme ses nuits d’insomnie ou quand ses copains s’endormaient. Exaspérantes solitaires, absurdes. À tel point qu’il n’y avait même pas de quoi pleurer. (Telles étaient les insomnies d’Otto). »
Livre reçu en Service de Presse.
— Les Nuits de laitue, roman de Vanessa Barbara, traduit du portugais (Brésil) par Dominique Nédellec, Éditions Zulma, Août 2015 —
Oh! Je le note alors, il me tente trop et j’adore les couvertures de Zulma… 🙂
Moi aussi, je suis fan des couvertures de Zulma, et de leur ligne éditoriale.
ça a l’air sympa comme tout! J’aime bien Zulma aussi.
Une lecture vraiment agréable, on se sent bien entourée avec cette galerie de personnages loufoques à souhait.
Et encore un titre, un… 😉
C’est une bien jolie rentrée littéraire, cette année, je trouve. Tant mieux!
Un livre qui fait du bien, que c’est tentant! En plus d’être touchant, burlesque, tendre, ma belle amie c’est que tu me donnes très envie avec ce roman! Tu nous fais de si belles critiques, on se sent déjà attachés aux personnages avant même de les avoir rencontrés. Il n’est pas facile d’arriver à parler de la perte avec « légèreté », ils sont souvent étonnants ces premiers romans…
Bisous et bon weekend
Il y a des livres comme ça, qui font du bien, que l’on quitte avec regret… mais avec le sourire aux lèvres. Bises.
Je l’ai lu aussi mais j’ai trouvé l’intrigue policière un peu artificielle. Mais il est plaisant, gai et fait du bien !
L’intrigue policière n’est qu’un prétexte à dérouler les petites histoires de chacun et à donner du rythme, je pense.
Je crois que rien que pour la galerie de personnages, je me lancerais tenter.
Des personnages truculents! Tu devrais aimer.
Oh moi aussi je veux des livres qui font du bien…
Alors n’hésite pas, la lecture de ce roman est vraiment plaisante.
J’aime beaucoup aussi ce type d’atmosphère. Cela me rappelle certains romans latino-américains.
Une atmosphère légère et fantaisiste. Une lecture qui fait du bien. Une jeune auteure à suivre.