Une saison avec Jane-Esther – Shaïne Cassim

Cet été 1967 restera pour Eden une saison particulière, celle de bouleversements intérieurs. Elle habite avec sa tante dans une ferme proche du Mississippi, fleuve qui la fascine tellement qu’il devient naturellement une métaphore de son ressenti ; la jeune fille prend conscience de la fuite du temps, des emportements qui ponctuent la vie, de l’aspect changeant des sentiments, elle vit des instants de grâce, des traversées tantôt lumineuses tantôt obscures, côtoie l’imprévisible, l’inconnu… le courant l’emmène mais elle n’en connait pas la destination.

Alors qu’Eden est en plein questionnement, quittant progressivement l’enfance pour entrer dans le monde des adultes, le pays entier s’agite et se révolte ; les émeutes raciales éclatent de toute part, la lutte pour les droits civiques se poursuit, les voix d’Angela Davis et des Black Panther s’élèvent.

La jeune fille écoute ce monde qui s’anime et bouillonne autour d’elle et tente de le comprendre. Et en même temps, elle ressent en elle des mouvements qui la submergent. Passionnée de poésie, elle met en mots ses sensations, ses doutes, ses angoisses. Une poétesse célèbre, justement, revient en ville pour se reposer un peu et donner une conférence. Elle se nomme Jane-Esther. Cette dernière était une amie d’enfance de la mère d’Eden – aujourd’hui décédée –. La jeune fille voue une admiration sans limite à cette femme, qui va, peut-être sans le savoir, la guider dans ce passage délicat de l’adolescence.

Les poèmes d’Eden jalonneront son chemin vers un ailleurs dont elle ignore tout. Entourée de femmes, Kate sa tante, Jane-Esther et Edna, une autre amie de sa mère, elle vit sa propre métamorphose. Elle voit son corps se modifier, son esprit s’encombrer d’interrogations, son coeur se remplir d’émotion. On entre dans son intimité avec ses premiers émois, ses déceptions, ses découvertes, ses ravissements. Elle pose aussi un regard touchant sur la société, la famille, les relations affectives entre les gens. Elle se cherche.

Un joli roman d’apprentissage qui fait la part belle à la poésie, celle qui remue et bouleverse. Eden avance, se hasarde sur des voies pas toujours très fiables mais elle le fait avec courage et détermination. Grâce à l’écriture, elle puise son émotion au plus profond d’elle-même pour saisir la vie.

« Tant d’événements se sont déroulés en si peu d’heures. Ma vie se métamorphose plus vite que moi. De vieilles pelures s’entassent à mes pieds, leur peau morte me laisse indifférente, mais je n’ose regarder de quoi je suis faite maintenant. Donnez-moi un châle pour m’envelopper. Des tas de questions idiotes me viennent à l’esprit. Ansi qu’à l’automne où j’ai eu mes règles, je me demande si je peux faire du vélo encore, me rouler en culotte dans la boue, parler aux poules et entourer le tronc des arbres quand j’ai trop de peine ? Dois-je renoncer à quelque chose, et si oui, qu’est-ce ? Autre chose de nouveau remplace-t-il cette perte ? Si j’ai faim des mondes que je dévouvre, seront-ils ordinaires, simplement magnifiés par le travail dans la chambre photographique de Jane-Esther ? Mon regard s’est-il profondément modifié, et puis-je avoir confiance en cette modification ? »

« Aimer, ai-je griffonné, n’encombre pas. Cela ajoute de la lumière et du savoir, dit Jane-Esther. Oui, mais y a -t-il un prix à payer pour s’enivrer de la compagnie de son aimé ? Rien ne vous étant jamais offert, je me doute qu’il faut verser son tribut. Hypothèse sacrificielle à vérifier. »

« Il ne s’agit pas de combler le blanc du papier, mais de combler ses propres blancs, l’ignorance de soi, donc du monde intérieur. Ensuite, seulement, on peut envisager de transmuer nos sensations examinées à la loupe en poème. »

« Le fleuve (…) est le miroir de tout ce que nous fait la vie. Il noie, il tue, il sèche, il déborde, mais il garde aussi plein de secrets, de pensées, de non-dits. Il abrite des pactes entres amies, et si, l’on est patients, si le moment est venu, il nous raconte ce que nous ignorons de notre propre histoire. »

« Il paraît qu’un jour ou l’autre, tout le monde se sent seul au monde. Le reste de notre vie n’est qu’une lutte acharnée pour qu’une telle choses ne se reproduise plus jamais. »

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Une saison avec Jane-Esther, roman (dès 12 ans) de Shaïne Cassim, Collection Médium, L’école des loisirs, Octobre 2013 —

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