L’âge des possibles – Marie Chartres

Chicago, ville tentaculaire ; ses bruits tapageurs, sa lumière changeante, ses odeurs multiples enchevêtrées, ses rues encombrées électriques, ses endroits de verdure apaisants, les bouquets de saveurs de ses restaurants et autres pâtisseries, sa foule qu’on frôle et bouscule, ses couleurs, sa musique, sa peinture, ses chansons, ses mots, ses nuances, ses différences… Comme toutes les villes immenses, Chicago a de quoi attirer, surprendre, troubler, impressionner, intimider, fasciner, affoler, ébahir, émerveiller, enivrer, toute personne qui ne l’a jamais foulée. Et ces états vont justement traversés Saul, Rachel, Temple, trois jeunes gens de dix-sept ans venant de la campagne, qui entrent pour la première fois dans la cité radieuse fourmillante et vrombissante. Saul et Rachel – discrètement amoureux – sont amish, et pour leur rumspringa, ils ont décidé de quitter leur communauté autarcique le temps d’un week-end et plonger dans le « monde moderne », un rite de passage pour conforter ou non le bien fondé de leur mode de vie « horizontal »; une existence réglée sans surprise sans anicroche, au plus près de la terre. Temple, elle, une jeune fille timide et craintive se rend à Chicago pour voir un spectacle avec sa sœur aînée qui y vit. Temple, casanière et manquant cruellement d’estime de soi, n’a jamais quitté son village et passe son temps dans l’épicerie de ses parents. Rachel Saul et Temple vont arpenter la ville ensemble, se perdre, s’interroger, discuter, (se)découvrir, observer, sentir, goûter, se livrer… Au fil des chapitres, leur voix alterne avec leurs ressentis leurs perceptions leurs désirs. Le poids de la tradition de l’éducation de l’habitude, la peur de l’inconnu, les premiers émois, le sentiment de liberté, le regard porté à l’autre et sur soi, la responsabilité, la capacité à prendre une décision, l’éblouissement et la force de l’Art sont autant de thèmes abordés avec pertinence délicatesse poésie et beauté. Un roman initiatique, des sens, de l’éveil, infiniment intelligent doux humain et solaire.

 » Le bleu de sa robe resplendissait et le blond de ses cheveux me faisait chavirer toujours aussi fort. Elle illuminait l’intérieur du café, j’avais la sensation qu’elle flottait, aérienne, au milieu des clients. Un nuage bleu, comme la première fois où elle m’était apparue. C’était il y a cinq ans. Dans mon souvenir, j’ai cru qu’elle avait inventé un nouveau bleu, qu’il n’appartenait qu’à elle, qu’elle détenait un secret et des mystères, qu’elle était unique. Malgré nos vêtements identiques, malgré nos coiffures obligatoires. Elle était là, dans la cour d’école, exceptionnelle. »

« La vie des amish, c’est une bobine de fil qui se déroule tranquillement du début jusqu’à la fin, c’est plat, il n’y a aucun nœud, aucun accroc, aucun incident. Ce que nous faisons, la manière dont nous agissons, c’est l’ouvrage de Dieu, c’est ce qu’Il veut de nous. Une ligne droite. Et toi, tu es… tu es un joli nœud. »

« Parfois il manque des mots dans nos phrases, mais le silence nous les fait malgré tout entendre, plus encore que si nous les avions réellement prononcés. Nos petits fantômes de mots. »

« Tu dois t’éveiller, écouter et vibrer devant chaque chose. Et chaque chose, ainsi, deviendra lumineuse. Les voyelles, les feuilles, les couleurs, ton amour, un chagrin, un espoir, une attente, ta vie. »

« Est-ce qu’il vous est déjà arrivé d’observer quelqu’un ou quelque chose, un visage, un ciel ou une fleur, avec autre chose que vos yeux? Avec votre coeur, votre peau, votre sang? C’était ce qui était en train de m’arriver. C’était difficile à expliquer. »

« La ligne horizontale qu’était ma vie passait d’un seul coup à la verticale en zigzaguant. »

L’âge des possibles, roman de Marie Chartres, dès 13 ans, Medium +, L’école des loisirs, août 2020 —

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