Paulownia – Sylvie Bocqui

pawlonia

L’amour les avait quittés depuis longtemps, mais ils demeuraient ensemble. Pour les enfants, peut-être. Par habitude, sûrement. Par faiblesse aussi… Puis, chez lui un autre amour s’est fait jour, alors l’audace s’est dévoilée. Et il a volé vers la nouvelle adorée. Sa femme, elle, est restée figée. Anéantie. Effondrée. Désorientée. Stupéfaite. C’est sa vie qui s’écroule. C’est la sidération. Depuis le départ de son mari, tout est vide, sec, absurde. Même les mots, qu’ils partageaient, se sont fait la malle. Malgré cela, il lui faut bien avancer, faire semblant au moins, pour ses deux garçons, petits encore. Puis les gestes mécaniques, les postures, les mensonges du début s’estompent peu à peu. Avec le temps. Et le mouvement, plus libre, revient. Elle tente par tous les moyens de combler l’absence. Bouge, s’occupe. Avec les enfants. Sans eux. Les couleurs se ravivent, les mots perdus remontent à la surface, les sensations réapparaissent… le rouge d’une robe, la douceur des cheveux qu’on lâche dans le cou, la chaleur d’un thé, le vert d’un poireau, les silhouettes dansantes de ses garçons, le joli violet des paulownias… Elle flâne dans les rues librement, manque volontairement un train, observe les gens, imagine leur histoire… Enfin elle convoque les mots, les fait glisser sous sa plume. Enfin être à nouveau dans la vie. En plein dedans.
Un beau roman sensoriel, intense, sur la dévastation d’un amour perdu et la force réparatrice des mots.

« Je trouvais le grand calme en lovant des poignées de toi au creux de ma paume. À ta taille j’avais prise, et j’avais prise, aussi tendre et pétrissable prise, derrière ton épaule où le bras s’attache au dos, ce repli charnu qui renfermait l’odeur de terre noire de tes aisselles. Je pétrissais des bouts de toi faits pour mon enfance attardée, et je m’endormais dans l’oubli, aucune autre ne te dira jamais cela, la terre noire de tes aisselles. »

« Dehors, tout la blesse. Tout ce qui bouge. Tout ce qui s’achète et se vend. Tout ce qui s’ouvre et se ferme – les sacs, les paquets de bonbons, les mains, les portes automatiques. Les passages piétons, les piétons. Les gens qui vont quelques part. Ses yeux glissent sur tout, toutes les images sont devenues glissantes, les affiches et aussi les façades des maisons, les silhouettes verticales, les arbres verticaux, les listes de prix, les menus, les horaires de cinéma – rien à quoi se rattraper, rien à quoi accrocher son regard pour rester debout. Tous ses regards glissent, comment est-ce possible que cela ne se voie pas? Pour assombrir tout un jour, il suffit du silence que font en bougeant les pattes d’un scarabée tombé sur le dos. Ce silence absorbe tous les chants d’oiseaux, tous les doux bruits de pas des promeneurs, des feuilles dans le vent. Il éteint toute la forêt, tout le dimanche. Elle l’a remis d’aplomb bien sûr, mais combien d’autres? »

« Deux ans après qu’il l’a quittée, elle commence à le quitter à son tour. Au début, elle ne veut pas, elle y tient, à lui ou plutôt à l’absence et à la douleur qui l’incarnent. Mais ça se détache qu’elle le veuille ou non. »

Paulownia, roman de Sylvie Bocqui, éditions Arléa, octobre 2019 —

4 commentaires sur “Paulownia – Sylvie Bocqui

  1. Tu parles avec une grande justesse, jusque dans le choix des mots, de la résilience d’un amour perdu. C’est long et difficile, tout un cheminement. L’écriture et la lecture participent à ce processus. Un sujet passionnant et ô combien littéraire. Merci Nadège, bises bretonnes 🙂

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