Blood Family – Anne Fine

bloodfamily

Le seuil de la porte d’entrée passée, Eddie est ébloui par la lumière et la rumeur de la ville. Voilà des jours et des jours qu’une voisine appelle et envoie des lettres, sans succès… Enfin les voilà, policiers et travailleurs sociaux… Le petit garçon et sa mère sont dans un état lamentable ; les silhouettes sont fluettes et courbées, les visages défaits, les regards vides, les vêtements déchirés et sales, l’appartement est sens dessus dessous, la crasse est partout et les fenêtres sont recouvertes de papier journal. Une odeur nauséabonde flotte dans l’air – le corps d’une chienne en décomposition dans un sac poubelle  -. La mère est prostrée, seuls des gémissements sortent de sa bouche, ses jambes sont noires, des touffes de cheveux manquent sur son crâne. Leur bourreau, Harris, n’est pas encore rentré. Il faut vite quitter cet enfer, emmener la mère et l’enfant. Il n’a que sept ans.

Les premières pages du roman sont d’une telle violence qu’on les lit à une vitesse folle, en apnée. En colère, inquiet, et tellement pressé de savoir Eddie en sécurité. Anne Fine va ensuite dérouler  la vie d’Eddie jusqu’à ses seize ans. Avec réalisme intelligence précision et sans jugement,  elle expose les faits et se glisse tour à tour dans la tête d’Eddie et des différentes personnes qui gravitent autour de lui : agents de police, travailleurs sociaux, psychologues, famille d’accueil, parents adoptifs…  Ces regards éclairent et sondent l’âme humaine, à l’image d’un documentaire de témoignages.

Si Lucy, la mère d’Eddie est placée dans un établissement psychiatrique, ayant perdu la raison sous les coups d’Harris – ce dernier n’a jamais levé la main sur Eddie -. Ce dernier, non scolarisé, surprend tout le monde par son éveil, sa réflexion, sa perspicacité. On apprendra que des émissions culturelles pour enfants – présentées par un certain Mr. Perkins – visionnées en boucle sur des cassettes VHS durant ses années d’enfermement ont été salvatrices. Le retour à une vie « ordinaire » se fait donc assez facilement. Mais un jour, Eddie, adolescent, découvre dans le miroir sa forte ressemblance avec Harris – il avait toujours pensé qu’il n’était pas son père -. Le choc est rude. Il se prend le passé en pleine face. S’ensuit une spirale infernale où l’alcool règne en maître.

Un roman sombre et intense qui parle avec justesse des difficultés de la reconstruction et de la réinsertion après une petite enfance maltraitée. Une lecture rude empreinte d’un sentiment de malaise constant face au mal-être de ce garçon, si attachant et courageux. Pour lui, on ne peut pas quitter l’histoire, on ne peut pas fuir. On demeure à ses côtés jusqu’au bout, avec espoir.

« L’air du dehors m’a frappé comme une gifle. Je ne savais plus ce que c’était. Et cette odeur – comme dire? Dure, peut-être. Presque hostile. Comme du cristal. L’air m’a presque plus choqué que la lumière. Bien plus tard, il m’est arrivé de passer devant une piscine, et à chaque fois l’odeur du chlore m’a rappelé ce moment étrange où Rob a ouvert en bas la porte qui donne sur la rue. Je n’oublierai jamais le trajet dans la voiture de police : le monde me paraissait tellement grand! « 

« Les livres, c’était vraiment autre chose. On avait l’avantage d’y croiser des personnages de tous âges et de toutes sortes : courageux, intelligents, malheureux, drôles, timides. Des étrangers, aussi. Des gens qui avaient perdu une jambe sur un champ de bataille, d’autres qui réussissaient dans le cinéma. De connaître leurs pensées, d’observer leur façon d’être, de tout apprendre d’eux, jusqu’aux ruminations qui les hantaient la nuit. Même si vos soucis sont différents, les livres vous montrent au moins que vous n’êtes pas seul à vous en faire. Vous n’avez plus besoin d’avoir peur que ce soit anormal. »

« Je ne savais plus où j’en étais. Je ne voulais pas voir ma mère. Et en même temps je voulais. Mais je n’avais pas envie de voir ma mère comme ça. Abrutie. Ce n’était pas ma mère. Même pas capable de chanter une chanson toute simple qu’elle avait entendue des millions de fois. Ma chanson préférée, pendant des années (…).  Il n’était plus question que j’aille passer une heure atroce et mortifère avec cette Lucy muette qui m’était étrangère : celle que Harris martyrisait n’était pas ma mère. »

Blood Family, roman d’Anne Fine, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Dominique Kugler, dès 13 ans, Collection Medium Poche (1ère parution 2015),  Éditions L’école des loisirs, Novembre 2017 —

7 commentaires sur “Blood Family – Anne Fine

  1. Déjà repéré et noté, le sujet bien que dur m’attire et les extraits que tu donnes me plaisent beaucoup. Je le surligne et mets ton billet dans vos plus tentateurs

Laisser un commentaire