Les petits orages – Marie Chartres

petitsoragesÀ seize ans, Moses Laufer Victor – prénoms atypiques qu’il doit à ses parents psychanalystes – est un adolescent mal dans sa peau comme tant d’autres. Sans cesse, des petits orages intérieurs le bousculent et le perturbent, et par moments explosent au dehors, de façon incontrôlable, à l’instar des boutons d’acné, envahisseurs détestables. Cela ne serait pas si grave si un an auparavant il n’y avait pas eu cet ouragan qui l’a dévasté : un terrible accident de voiture, suivi de plusieurs mois d’hôpital pour sa mère et lui. Aujourd’hui, elle se déplace dans un fauteuil roulant et lui ne peut pas marcher sans ses béquilles. En plus de la douleur lancinante de sa jambe au quotidien, Moses souffre d’un poids énorme : la culpabilité. Il est persuadé que sa mère a fait une embardée à cause de lui. Cette dernière, pourtant, affiche un sourire et une joie de vivre permanente… quant à son père, il est devenu distant et sombre. Au lycée, le jeune homme longe les murs, ne se mêlent pas aux conversations. Il se sent à part, différent. Rien ne peut être comme avant.
Une « collision » avec un grand type, dans le couloir du lycée, va complètement chavirer son existence. Ce gars s’appelle Ratso – ou Sticky Bear –, un indien de la tribu des Oglalas. Il a dix-huit ans et vient de débarquer dans l’établissement, fraîchement viré de son ancien lycée. L’un et l’autre semblent se comprendre – sans se confier – parce qu’ils se ressemblent. Il émane de chez eux une tristesse, une faille, une rage aussi. Et une solitude. Qu’ils vont unir.
À bord de la volvo déglingué de Ratso, ils prennent la route en direction de la réserve de Pine Ridge. Le jeune indien emmène Moses avec lui pour fêter l’anniversaire de sa soeur restée là-bas. Il lui apporte des bris de verre colorés qu’il a cassés durant des jours… La longue traversée de la plaine va permettre aux deux garçons de lâcher leurs mots et d’apaiser leurs maux. Un voyage vers la lumière, vers la sérénité. Un cheminement vers l’autre, une découverte de soi, des envies et des désirs ravivés, une meilleure compréhension du monde et une ouverture d’esprit.
Avec empathie, nous suivons la marche hésitante de Moses, ses avancées, ses doutes. Une progression pleine de sensibilité, de persévérance et de bienveillance. Et assistons avec joie à la grande éclaircie.

« L’empreinte d’un renard, puis le tintement de ma béquille. L’empreinte d’un renard, puis le tintement de ma béquille. Un pas, clic. Un pas, clic. C’était ma démarche bancale dans le grand couloir du lycée. Là où se retrouvaient les jeunes de mon école. Là où ils se montraient, là où ils s’observaient, là où ils se séduisaient. Je frôlais les casiers rouges. Jamais je ne marchais dans l’allée centrale. Moi, je m’extrayais, je contournais, je baissais la tête. Je fuyais, j’évitais, je m’écrasais. Je creusais le sol, je m’inventais un terrier, je m’engouffrais, je me camouflais, je disparaissais. C’était ma lente amnésie de l’instant, un évanouissement, une évaporation. J’avais envie de devenir une buée blanche, une solution. »

« Je crois que je partais avec Ratso parce que je ne comprenais pas tout de moi. J’avais l’impression de vivre une aventure. Et ce mot « aventure » me plongeait dans un état de conscience illimité, cela ressemblait à une sorte d’éveil permanent. J’avais juste envie de bouleverser l’immobilité de mon monde, les déchirures de ma jambe et la fracture de mon coeur. »

« Je me suis assis sur la balançoire que mon père avait réparé durant mon absence et j’ai commencé à me balancer grâce à ma jambe vaillante. Au fur et à mesure, j’ai réussi à monter de plus en plus haut, d’avant en arrière, de plus en plus fort. Je me sentais debout, droit, comme un beau signe de ponctuation, un signe qui se dressait et s’envolait au gré du vent, un signe qui laissait étourdi et allait haut, très haut, sans avoir peur. »

coeur

Les petits orages, roman jeunesse de Marie Chartres, à partir de 12 ans, L’école des loisirs, Février 2016 —

17 commentaires sur “Les petits orages – Marie Chartres

    1. Oui, les romans de l’école sont d’une grande qualité et abordent tous les sujets, espérons que cela perdure, malgré l’absence de Geneviève Brisac.

  1. Déjà repéré et noté mais maintenant il me le faut ;0) J’aime beaucoup le style de Marie Chartres, c’est vraiment beau, poétique et extrêmement bien écrit ! Bonne semaine Nadael (et je mets ce billet évidemment dans vos plus tentateurs ;0)

  2. Déjà à lire ton superbe billet j’en ai des frissons. J’aime ces portraits d’adolescents mal dans leur peau, avec petits et grands « orages intérieurs », il me semble qu’en tant qu’adulte il y a là tout un univers à découvrir, à sonder, à approfondir. Ils ont tellement besoin d’être entendus et écoutés…
    Tu en parles avec magie ma Nadège
    Pleins de bisous sur ta journée xxx

    1. Tu sais que cette période me fascine et m’intrigue beaucoup… et elle reste toujours aussi énigmatique… Ce livre-ci est très beau, il sonne juste.

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