Le poids du coeur – Rosa Montero

poidsducoeurQue le coeur de Bruna Husky est lourd ces derniers temps… mais est-ce vraiment un coeur qui bat dans sa poitrine ? Ce n’est pas un organe de chair et de sang, elle le sait bien, et c’est justement la source de son angoisse. Sa vulnérabilité. Elle n’est qu’une techno, une réplicante de combat. Même sa mémoire ne lui appartient pas… Pablo Nopal, son mémoriste a injecté des centaines d’images dans son cerveau, il lui a fabriqué un passé afin de faciliter son intégration dans la société. Cela, il le fait pour tous les technos, sauf que pour Bruna, il a osé y glisser ses propres souvenirs d’enfance. Sont-ce ces bribes de « réalité » qui lui font se questionner tellement sur sa mort prochaine ? Un techno ne vit que dix ans, au bout de ce laps de temps, une tumeur total techno (TTT) envahit son corps et il meurt d’une façon foudroyante. Alors, Bruna décompte. Elle égrenne les jours qui passent et ce compte à rebours prend une place énorme dans sa vie, la fragilisant et l’obsédant.
Nous sommes au 22 ème siècle sur la Terre. Détective privée, Bruna enquête sur la disparition d’un diamant noir et la découverte d’un mot énigmatique « Onkalo » va l’entraîner sur Labari, une planète étrange organisée en castes, où l’esclavagisme règne et les femmes sont dédaignées. Sur sa route, elle recueillera Gabi, une petite fille sauvage et violente qui, elle l’apprendra vite, a été confrontée au nucléaire. Autour d’elle gravitent Daniel Deuil, un « tripoteur » – une sorte de psychologue-masseur -, Clara, une techno qui lui ressemble trait pour trait – Bruna apprend avec effarement qu’elles sont issues de la même matrice comme une dizaine d’autres technos –, Yannis l’archiviste, le séduisant inspecteur Lizard… Le rythme est enlevé, actions et rebondissements, descriptions et réflexions philosophiques, sociétales, politiques, religieuses, environnementales, alternent. N’étant pas passionnée par la dystopie habituellement, ce roman-ci a réussi à me prendre dans ses filets – j’ai tout de même sauté quelques pages – grâce au personnage de Bruna Husky. On ne peut que s’attacher à cette femme – enfin cette techno –. Rosa Montero évoque à travers elle, avec intelligence et sensibilité la vie et la mort, la maladie et la souffrance, le sentiment amoureux, le désir, la vieillesse, la chirurgie esthétique. Son regard est sombre mais tellement juste. La création littéraire a également une place essentielle dans l’histoire – Bruna va inventer un conte pour Gabi, sur un géant, un nain et la mort – et va bouleverser la vie de Bruna et lui insuffler un peu de légèreté dans son coeur si lourd.

« L’androïde se leva et quitta la chambre de Gabi fâchée contre elle-même. Quand cette colère sèche l’envahissait, c’était comme si elle était habitée par une autre personne, comme si à l’intérieur d’elle avait grandi cet enfant qu’elle ne pourrait jamais engendrer (elle n’avait même pas de menstruation : c’était une complication organique inutile pour une techno) et qu’il s’agissait d’un embryon empoisonné. Alors, dans la colère, son corps se tendait, ses traits se durcissaient et ses poumons semblaient perdre la moitié de leur capacité. La pierre de la colère pesait dans sa poitrine. »

« D’abord, c’est parce que la seule chose qui donne du sens à la vie, c’est la connaissance, l’art, la beauté. Mais, surtout, c’est parce que ça revient au même d’apprendre la chanson dix ans ou dix minutes avant de mourir, car ce sera toujours un apprentissage face au néant, une construction fragile et éphémère. Nous sommes des êtres fugaces et nous le sommes tous, très chère. Les technos, les humains, les extraterrestres. »

« Et elle éclata de rire. C’était la première fois que Bruna Husky riait après son compte à rebours. Elle se sentait si légère qu’elle aurait été capable de s’envoler. C’était prodigieux de constater à quel point un coeur heureux pesait peu. »

Le poids du coeur, roman de Rosa Montero, traduit de l’Espagnol par Myriam Chirousse, Éditions Métailié, Janvier 2016 —

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14 commentaires sur “Le poids du coeur – Rosa Montero

  1. Il va falloir que je me décide à la lire depuis le temps que je lis des avis élogieux sur ce qu’elle écrit ! Pas trop fan non plus des dystopies actuelles (qui n’ont rien inventé de transcendant depuis la SF) mais dans le cas de Rosa Montero, je suis prête à faire un effort car j’ai cru deviner que son discours allait plus loin que ça… 😉

  2. Ça fait du bien parfois de changer de style littéraire, c’est souvent très ressourçant. C’est un style auquel je suis moins habituée, même si parfois je me tourne vers ce genre de littérature. Ce que je trouve génial dans celui que tu nous présentes ici c’est la sensibilité avec laquelle l’auteure semble avoir décrit son personnage de Bruna. Et puis elle y parle des grands sujets, la mort, l’amour, la vieillesse…
    Bisous

    1. La SF et la dystopie sont des genres que je n’apprécie pas mais de temps à autre, je tente au cas où… là j’ai surtout aimé le personnage de Bruna. J’ai éprouvé une grande empathie pour elle. Et Rosa Montero écrit vraiment bien!

  3. J’ai l’impression que j’ai de plus en plus de mal à te laisser des commentaires, il est passé celui que je viens de t’envoyer ??

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