La doublure – Meg Wolitzer

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Joan est déterminée. À soixante-quatre ans, elle est enfin prête à quitter son mari. Et c’est dans les airs, en vol pour la Finlande que cette décision sans appel a surgi. Jo Castelman, son époux depuis une quarantaine d’années va recevoir dans quelques heures le prestigieux prix Helsinki, honorable récompense (« Ce n’était pas non plus le Prix Nobel, bien sûr. On se situait là quelques crans plus bas. Ce prix Helsinki était en somme un cousin un peu arrogant qui avait étoffé sa réputation au fil du temps, grâce au levier fort simple de l’argent… ») saluant sa belle et longue carrière d’écrivain à succès.
Ce voyage est l’occasion pour Joan de dérouler le fil de leur vie ; leur rencontre à l’université – elle l’étudiante douée, lui le professeur d’ « écriture créative » – leur liaison – Joe est mariée et père d’une petite fille – leur fugue amoureuse, une vie d’amour et d’eau fraîche – entraînant inévitablement un divorce –, leur passion pour la littérature, leur mariage, leurs enfants, la succession de best-sellers – Joan qui avait un talent indéniable pour l’écriture renonce très vite et devient malgré elle la principale source d’inspiration de son mari, toujours à ses côtés lors de lectures, réceptions et autres recherches documentaires –, le petit monde de l’édition – monde machiste par excellence –, la place de l’écriture dans leur existence – au détriment de leur progéniture – , les infidélités de Joe, ses oeuvres de charité à elle… Des souvenirs teintés de cynisme, de regrets et d’amertume. Joan dresse un portrait acéré de son mariage avec une grande lucidité.
Un roman foisonnant. Meg Wolitzer conte une vie de couple n’hésitant pas à égratigner au passage la société américaine et ses travers avec brio. J’ai beaucoup aimé le personnage de Joan, une femme prodigieuse qui passe du second plan au premier plan au fur et à mesure de la lecture, se mettant à nu, enlevant son habit d’épouse – et de doublure – pour avoir au final le plus beau rôle.

« Cela tenait peut-être à cela, d’être écrivain : même les yeux clos, vous êtes capable de voir. »

« Les écrivains ont besoin de lumière. Ils vous le répètent tout le temps, comme s’ils étaient desséchés, comme s’ils étaient des plantes, comme si la page à laquelle ils travaillaient aurait pu revêtir une toute autre allure exposée plein sud. »

« Les textes que j’avais écrits n’avaient rien à voir avec la littérature de ces messieurs. La prose des hommes se répandait dans la page, s’étalait paresseusement comme quelqu’un qui prendrait un bain, se raserait, bâillerait, s’étirerait. Dans leurs fictions, les romanciers mâles inventaient des néologismes : « phallomatérialisme », « éro-tectonique ». Ils écrivaient eux-mêmes, sans même se donner le mal de modifier les détails autobiographiques. À quoi bon ? Ils n’avaient pas peur de se frotter à des alter-ego ; ils n’avaient pas peur d’avoir un ego. Ils tenaient le monde dans leur main, avec tout son contenu. »

« Et moi, blonde, mince, vieillissante mais préservée dans l’acidité d’un long mariage. Les sucs conjugaux me maintenaient en vie, me permettaient de tenir le coup. Joe et moi nagions tous les deux dans le bocal. Et j’y nageais seule, chaque fois qu’il sortait embrasser les tendres parties de Merry Cheslin. Et ensuite, épuisé, il revenait toujours nager vers moi. »

« Tout le monde a besoin d’une épouse. Même les épouses. Les épouses soignent, elles veillent. Leurs oreilles sont deux instruments jumeaux très sensibles, des satellites qui captent le moindre soupçon de mécontentement. Les épouses apportent le bouillon, nous apportons les trombones, nous nous apportons nous-mêmes, avec nos corps malléables et chauds. Nous savons exactement quoi raconter aux hommes qui, pour une raison ou une autre, ont le plus grand mal à prendre régulèrement soin d’eux-mêmes ou de qui que ce soit d’autre. « Écoute, leur affirmons-nous. Tout va bien se passer. » Et ensuite, comme si nos vies en dépendaient, nous nous en assurons. »

Livre reçu en Service de Presse.

La doublure, roman de Meg Wolitzer, traduit de l’anglais (américain) par Johan-Frederik Hel Guedj, Éditions Rue Fromentin, Janvier 2016 —

9 commentaires sur “La doublure – Meg Wolitzer

  1. C’est le même auteur que pour « Les Intéressants » ou je me trompe ?!! Je n’ai même pas encore lu celui là, alors ce nouveau titre attendra bien :0) J’avoue être moins tentée que pour son premier…

  2. Comme quoi il n’est jamais trop tard pour refaire sa vie. J’ai toujours aimé ces romans de remises en question, de quête et de nouveau départ…
    Super billet ma Nadège
    Je t’embrasse

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