La porte de la salle de bain – Sandrine Beau

salledebainElle a douze ans à peine Mia, et est déjà en attente. Comme toutes les filles de son âge, ça bout à l’intérieur. Ça palpite. Ça s’agite. Des sensations nouvelles se font jour. Le corps tout entier se prépare à quitter l’enfance. Telle la chenille qui se métamorphose en papillon, la petite Mia est sur le point de devenir une jeune fille. Pour l’heure, chrysalide, elle guette la poussée de ses seins, des petits pois qui captent toute son attention. Jour après jour, elle observe, elle contemple… elle est si heureuse.

Mais la transformation de ce corps n’a pas échappé aux regards des autres. Des coups d’oeil déplacés de gens dans la rue, des hommes surtout… quant à son entourage, il est devenu soudain intrusif et sans gêne se permettant des réflexions bien dérangeantes pour une toute jeune fille. Mia est gênée et confuse, oscillant entre la joie et la tristesse.

Et puis, il y a Lloyd, le compagnon de sa mère. « La moule », comme le surnomme sa grand-mère, toujours affalé sur le canapé. Lui aussi, il s’est aperçu que Mia grandissait… Monsieur a pris l’habitude d’entrer dans la salle de bain lorsque Mia s’y trouve. Cette irruption dans la pièce est vécue comme une « violation » de son intimité. La jeune fille redoute toute la journée de se retrouver face à son beau-père, dans la salle de bain. Sa mère travaille souvent le soir…

Durant des semaines, le malaise ne cesse de grandir. Mia a peur mais n’ose pas parler. Par crainte de moqueries, par honte… L’angoisse monte, crescendo. Jusqu’où Lloyd est-il capable d’aller?

Un roman d’une justesse implacable. Le passage de l’enfance à l’adolescence est parfaitement décrit à travers les yeux de Mia, qui précisons-le, est la narratrice ; le basculement vers le monde des adultes avec ses jolies envolées et ses terribles retombées, les transformations du corps, le changement de regards des autres, leurs familiarités jusqu’à l’intrusion dans l’intimité, parfois. Une écriture sensible et vraie pour un propos dur mais tellement important. Et comme le dit l’auteure en exergue, ce livre est adressé « À toutes les Mia. Et à tous les Mio. Que la force soit avec vous! ». Car je pense aussi qu’il faut lutter pour la franchir, cette porte de l’adolescence.

« Et puis un jour, les trois petits pois sont devenus un peu plus que trois petits pois. « Mais c’est qu’elle devient une vraie jeune fille avec ses p’tits oeufs au plat! » De quoi je me mêle ? Non mais c’est vrai, est-ce que moi je me permets des réflexions ? « Mais c’est qu’elle devient une vraie sorcière, avec son poil au menton! » « Mais c’est qu’il devient un vrai tonneau, avec son bidon! » Y’a un moment, je ne sais pas à quoi c’est dû, mais les adultes se croient autorisés à parler de votre corps, comme si vous étiez absent. Ou pire, comme si vous étiez une voiture qu’on observe, qu’on détaille et qu’on jauge. Sauf que je ne suis pas une voiture ! Et que j’ai horreur de ça ! Mes seins ça ne regarde que moi. Est-ce que je m’occupe de leurs fesses, moi ?

« Plusieurs fois, j’ai essayé d’imaginer que je parlais. Que je racontais ce qui se passait dans la salle de bain, depuis quelques temps… Mais je n’arrivais pas à trouver les mots. Je ne savais pas par quoi commencer . « Le copain de ma mère entre dans la salle de bain quand je prends ma douche… » ça me semblait ridicule comme phrase. On aurait dit une petite fille qui couine. Et puis, ça n’avait pas vraiment l’air grave dit comme ça. »

Livre reçu en Service de Presse.

La porte de la salle de bain, roman jeunesse de Sandrine Beau, dès 12 ans, Collection EGO, Éditions Talents Hauts, Octobre 2015 —

9 commentaires sur “La porte de la salle de bain – Sandrine Beau

  1. Je ne l’ai pas lu, mais c’est un livre qui devrait être dans tous les CDI. Pour faciliter la parole de toutes les Mia et Mio. Oui j’ai envie de le lire.

  2. Pas facile ce passage à l’adolescence, les changements du corps et le regard des autres, les commentaires qu’on ne voudrait pas entendre. Et la gêne, la terrible gêne…
    Et ce beau-père… grrrrrr je le mordrais !!!

    J’sais pas jusqu’où va cette intrusion, mais je me doute que si la petite Mia la redoute, c’est déjà allé trop loin et qu’il est permis de parler d’abus. Pffffffffff Le genre de lecture qui me bouleverse mais vers laquelle je suis tentée d’aller…

    Je t’embrasse xx

    1. Je me souviens moi-même de remarques qui me mettaient très mal à l’aise, adolescente. Les gens oublient souvent à quel point on est fragile à cette période de la vie – pourtant ils l’ont vécu aussi!!, c’est peut-être justement parce qu’ils l’ont mal vécu qu’ils se permettent d’être blessant envers les autres… Ce petit roman est réaliste, très juste. La fille de la salle de bain est la narratrice. La lecture est angoissante en effet, mais il y a une grand-mère formidable qui évitera que l’intrusion aille trop loin. Je t’embrasse.

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