La petite Borde – Emmanuelle Guattari

lapetiteborde

Emmanuelle est la fille de Félix Guattari – psychanalyste et philosophe – qui sa vie durant a travaillé à la célèbre clinique de La Borde près de Blois. Cet établissement psychiatrique est particulier puisque ses occupants sont davantage assimilés à des pensionnaires qu’à des fous, participant activement au bon fonctionnement du lieu. Ni murs ni clôtures. Chacun évolue à son rythme dans un château sans âge, siégeant au milieu d’un parc immense et imposant, entouré de forêts et d’étangs.

Dans ce lieu hors du commun Emmanuelle vit et grandit, auprès de son père, à côté des Fous. Une enfance rêvée où se mêlent allègrement liberté, fantaisie, insouciance, le tout en harmonie avec la nature. Ce château renferme tant d’histoires, des petits contes que Manou se remémorent… comme des images figées dans son esprit qu’elle met en mouvement sous sa plume.

Avec pudeur, délicatesse et tendresse elle livre ses souvenirs, ses impressions, ses sensations . Lumineuses sont ses descriptions du château, amusantes sont les bêtises avec son frère, émouvants sont ses mots sur ses parents, cocasses certaines situations avec les pensionnaires…

Chaque chapitre saisit un instant. Un décor est posé, des personnages, un ton, un son, un visage, une attitude, un objet, un parfum, une couleur, une texture, une saveur, un propos court qui va à l’essentiel, un texte épuré. Des moments de vie qui défilent, drôles, heureux, tristes, sérieux, incongrus, surprenants… Un très joli roman.

« Ma mère a disparu de ma vie comme une bulle de savon qui éclate.

Je me tiens depuis devant cette nouvelle illusion.

Parfois, j’ai envie d’avancer la main pour battre l’air et sentir cette nouvelle image.

Comment est-ce possible ? Elle était là. Elle n’est plus là. Mais où est-elle ?

Et puis un jour en regardant l’avenue et la ville par la fenêtre, j’ai vu le ciel s’écraser sur le sol.

Un énorme étau et j’ai été prise de vertige : nos morts ne sont-ils pas là, juste derrière cette sorte d’écran, celui qui s’allume devant nos yeux. Je serre fort les paupières. J’attends. Puis je regarde ; non, je ne vois pas les morts. Je me retourne, ma mère n’est pas là. »

« A la Borde, il y avait des Fous que l’on appelait des Pensionnaires. J’ai toujours trouvé le mot élégant. »

« Nous glissons dans une barque dans la fraîcheur délicieuse du Loir. Les ramures tissent une treille, les troncs proposent leur ombre rafraîchissante.

Les parents rament dans un bel accord. Nous laissons traîner nos mains dans l’eau. Il y a une petite odeur de vase et d’eau verte.

Nous sommes dans le monde de la rivière ; c’est un point de vue sur les choses, on y existe autrement, porté par le cours d’eau, perçant avec lui une échancrure dans l’épaisseur du réel. »

premierroman

La petite Borde, roman autobiographique d’Emmanuelle Guattari, Mercure de France, Août 2012 —

Laisser un commentaire