Léna – Virginie Deloffre

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URSS, 1987. Une jeune femme, Léna, attend. Elle attend le retour de son mari Vassili, pilote de chasse dans l’armée russe. La journée, elle travaille au combinat et quand le soir vient elle s’insère dans les files d’attente. Son existence est impassible. Elle guette le retour aléatoire de son homme. Solitaire, silencieuse, effacée, presque figée, patiemment elle attend. Sa vie est ainsi faite, rythmée par les arrivées et les départs de Vassili. Lui, à l’inverse d’elle est toujours en mouvement. Il n’a pas de limite, veut toujours aller de l’avant, plus loin, plus haut, toucher les étoiles. Quand il revient dans la maison communautaire où ils vivent tous deux, il est accueilli comme un héros par les enfants à qui il conte la riche histoire de la conquête de l’espace par les russes. On le sent fier, on le sent heureux, lumineux. Alors que Léna semble éteinte, absente… Pourtant quand il est là, le monde de silence dans lequel elle évolue se brise, le bruit se fait, chaleur et douceur envahissent son corps, mais elle ne partage pas la passion de Vassili, elle ne la comprend même pas.

Orpheline à l’âge de sept ans, elle est recueillie par Varia (une militante communiste) et Mitia (un dissident exilé) dans le Grand Nord Sibérien. Ses parents, des nénètses, se sont noyés dans un trou d’eau alors qu’ils pêchaient. Les corps ne sont jamais remontés à la surface… Fillette, Léna passait des heures assise sur une chaise, comme pétrifiée, dans l’attente que ses parents reviennent sur terre, probablement.

Aujourd’hui, les liens qu’elle entretient avec Varia et Mitia sont indéfectibles, la distance n’y change rien. De Moscou, elle leur envoie des lettres. Chaque départ de Vassili pour la Base est l’occasion pour elle d’écrire confiant ainsi ses états d’âme.

Un jour, Vassia est choisi pour suivre une formation de cosmonaute afin de se rendre sur la station Mir. Le flux et le reflux imprévisibles auxquels étaient habitués Léna se rompent. Les allers et venus de Vassia sont maintenant programmés. L’attente d’avant ne lui pesait pas, car elle était synonyme d’espérance…

Un roman fascinant sur un pays finalement assez méconnu. L’auteur évoque dans une prose emplie de finesse et de sensibilité la grande fierté des russes pour la conquête spatiale, pose un regard juste et intelligent sur le déclin politique et économique et la tentative de restructuration (la perestroka), esquisse des paysages incroyables allant de l’immensité de la sibérie avec sa toundra et l’Ob qui la traverse et l’entassement des citadins dans des immeubles gris et froids, donne chair à des personnages infiniment touchants, et tisse surtout une très belle histoire d’amour.

« Il n’y a rien à pousser ni à remiser parce que la place il la prend toute, d’un coup. C’est comme une autre maison et une autre vie en fait, quand il est revenu. Et je ne sais pas comment m’y prendre. C’est singulier l’incursion du bonheur, j’ai si peu l’habitude. Il va falloir se dépouiller de ses vêtements d’absence, nombreux ils sont en couches successives, nombreux je m’en suis recouverte au fil du manque. Maintenant comment les ôter sans crainte, me dénuder de ma carapace, mon armure d’absence. »

« Vassili est reparti à la Base. Et me voilà repartie mois aussi dans l’attente, qui m’est comme un pays. Comme il est long mon pays, comme il est plat, infiniment plat et long. Il n’a pas de terme mon pays, il n’a pas de contours, il offre au regard ses alentours semblables, de tous côtés la même étendue devant soi étalée. »

« Je ne sais pas pourquoi les hommes veulent aller plus loin. Mais ils l’ont toujours fait, ils ont toujours marché droit devant eux(…). Chaque étape de leur progression était jonchée de cadavres et pourtant ils ont continué jusqu’à couvrir la surface de la terre, et maintenant la terre ne leur suffit plus. Ils sont ensorcelés par les lointains. C’est une force en eux, sans doute semblable à celle qui habite les oies sauvages au printemps. L’étendue les attire, elle les appelle. Et ils se mettent en marche. »

« (…) l’homme a besoin de cathédrales, de quelque chose qui le dépasse et qu’il faut des générations pour construire. »

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Lu dans le cadre d’une masse critique Babelio

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Léna, premier roman de Virginie Deloffre, Le Livre de Poche, septembre 2013, première parution en 2011 —

9 commentaires sur “Léna – Virginie Deloffre

  1. Il était déjà dans ma LAL lors de sa sortie en grand format… et depuis sa sortie poche je l’ai renoté… Il me tente terriblement, les extraits que tu donnes sont très convaincants… Je suis sûre qu’il me plaira…

    1. Ce roman donne un éclairage passionnant sur ce pays que je connais si peu. D’ailleurs, il m’a donné envie de lire plus de littérature russe…

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