Les amoureux – Sophie Avon

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C’est avec délicatesse, sensibilité et justesse que Sophie Avon évoque dans son roman un amour de jeunesse, celui de Sonia et Alexandre. Un premier amour impétueux et foudroyant, qui remplit toute leur existence. Une déferlante de sentiments.

Avec le temps, il se fragilise, se fissure, puis explose. Car l’amoureuse éperdue n’a pas vu ou voulu voir l’évidence d’une relation vouée à l’échec. Et quand enfin elle réalise, c’est le désenchantement.

Si les jours s’enfuient, si la vie reprend son cours, si d’autres amours surgissent, le souvenir de cet amour-là ne s’efface pas. Les émotions ressenties alors, demeurent gravées, à jamais.

Sonia Pinget vient d’enterrer Jonas, l’homme avec qui elle a partagé trente ans de sa vie. Au bras de son neveu Gabriel, elle quitte le cimetière. Sa douleur est palpable, sa tristesse infinie.

Soudainement des images du passé lui reviennent à l’esprit, elle se revoit jeune femme, quittant Bordeaux pour la capitale. Et le film de ces années-là défile sous ses yeux : ses cours de théâtre, ses premiers cachets, les amitiés qui se nouent, son travail à mi-temps chez un notaire, l’atmosphère parisienne, des parents qui s’éloignent et se perdent, une petite soeur fantasque, les vacances à Malgenêt, et surtout son amour pour Alexandre, grand amateur d’A la recherche du temps perdu de Proust… et cette illustre phrase de Swann qui résonne :  « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! »

Nous sommes au début des années quatre-vingts. Les jeunes gens que côtoie Sonia vivent chaque minute avec délectation. Passionnés par le théâtre, amoureux de l’amour, ils ne semblent pas se projeter dans l’avenir, profitant du moment présent. Sans peur du lendemain, ils avancent dans la vie joyeusement, avec insouciance – précisons que l’épidémie de SIDA n’a pas encore sévi. Sonia, Alexandre, Jan, Corinne et les autres tourbillonnent, expérimentent, se cherchent et rêvent.

Si l’écriture est belle, les réminescences de Sonia sont enveloppées d’une certaine lenteur, certes propre à l’évocation du souvenir, mais qui entraînent tout de même quelques longueurs dans le récit. Cependant, un très beau portrait d’une génération d’hommes et de femmes des eighties est dessiné et les liens – amicaux, amoureux, familiaux – tissés entre les personnages apparaissent tour à tour solides, fragiles, et complexes. Une lecture agréable où plane un souffle romanesque indéniable.

« Se retourna et se leva dans un même élan. Puis se serra contre lui, sur la pointe des pieds, les bras accrochés à sa nuque. C’était la troisième fois qu’elle se pendait à son cou depuis la veille. On n’avait pas inventé meilleure position pour donner et recevoir de l’amour en même temps. (…) Elle respirait l’odeur du savon sur sa peau, fermant les paupières comme si elle avait pris le temps d’en engranger toutes les nuances pour être sûre de s’en souvenir plus tard. »

« (…) elle passait son temps à découper le temps – ses journées s’étaient métamorphosées en minuscules fuseaux horaires quadrillant une existence trop libre pour être sérieuse. »

« Mais vois-tu, ce qui me frappe, c’est que quand je revois certains moments d’autrefois, je me revois dedans, évidemment, sauf que celle qui m’apparaît est une sorte de témoin passif. C’est comme s’il m’avait fallu du temps pour être enfin l’actrice de ces réminescences. (…) Mais la Sonia de l’époque est comme une poupée morte. Je sais vaguement ce que j’ai pu éprouver alors mais je ne le retrouve pas ; les sentiments que je retrouve sont ceux que j’éprouve par déduction aujourd’hui… »

Les amoureux, roman de Sophie Avon, Mercure de France, Août 2012 —

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