Ce matin-là – Gaëlle Josse

Ce matin-là, la voiture de Clara ne démarre pas. Ce matin-là, est à nul autre pareil. Cette vie-là, ne tenait plus qu’à un fil. Et ce fil, vient d’être coupé. Cette vie-là semblait trop belle pour être sincère. Et la sincérité aujourd’hui, comme une déflagration, éclate. Explose les artifices. Clara, la trentaine, amoureuse de Thomas, banquière efficace, investie auprès de ses parents – de son père surtout, depuis son AVC… Une existence lisse, tout bien comme il faut, sans anicroches… mais avec du fard dessus, des non-dits enfouis, des désirs enfuis. Ce matin-là, Clara s’effondre. Anéantie. Prostrée. Là voilà happée par la spirale dépressive. Avec elle, au plus près de ses émotions de ses sensations, on vit le quotidien recroquevillé, l’absence d’élan, le manque de goût, le chagrin enlisé, ses ruptures avec son travail son amour, sa solitude, son amertume. Puis l’enfance qui revient, son amie Cécile, l’odeur du chlore de la piscine, des fleurs sur un étal, le titre d’un livre de Jack London dans les mains d’un homme, les gestes tendre d’un couple dans la rue, une chanson de Barbara, un carnet de couleur pourpre, la lumière qui danse joyeuse… Doucement s’éveiller, réinventer une vie, se faire une autre place, selon ses envies. Ne plus se mesurer mais se faire confiance. Avancer, s’aventurer. Et s’ouvrir à soi, à l’autre, aux autres. Cette histoire-là est intime, et pourtant universelle. Cette histoire-là parle de nos failles de nos doutes de nos humeurs de nos ardeurs. Sur les chemins de traverse qu’il nous faut emprunter parfois pour vivre sous un jour nouveau.

 » Clara, la vaillante, vacillante. Une lettre en plus qui dit l’effondrement. Une lettre qui se faufile au milieu de la vaillance, la coupe en deux, la cisaille, la tranche. Une lettre qui dessine une caverne, un trou où elle tombe, un creux, une lettre qui l’empêche de retrouver celle qu’elle était, entière, debout. »

 » Elle a aimé la langue secrète, obscure, sauvage, de leurs corps, de leurs doigts, de leurs bouches. Fougue et lenteur, elle a aimé ces temps enlacés. Leur vertige. Sa main à lui sur sa nuque à elle, sa main qui froisse ses cheveux et parvient jusqu’à la peau tiède, secrète, invisible, enfouie sous la chevelure. »

« Au fond, aimer sans i devient amer. Elle vient de lire ça sur une affichette déchirée, près de son arrêt de bus. Le bas de la feuille s’agite au vent, comme une paire d’ailes brisées, inutiles. »

« Elle voudrait retrouver le grand vent qui fouette et rend vivant. Elle voudrait rejoindre cette part d’elle-même, cette part manquante, parfois entrevue, il y a longtemps. Vaincre cette attraction terrestre qui la cloue au sol. Elle voudrait s’alléger de tout ce qui pèse, qui peine, qui fait courber l’âme. Comme dans un déménagement, on jette, on laisse, on donne. Retrouver l’espace vierge pour accueillir ce qui compte. Chasser les ombres et les fantômes à grands coups de pied. Rire du bruit de leurs chaînes. »

Ce matin-là, roman de Gaëlle Josse, édition Notabilia, janvier 2021 —

8 commentaires sur “Ce matin-là – Gaëlle Josse

  1. Les édition Notabilia sortent souvent de très jolis romans. Ta critique me plais beaucoup, tout en sensibilité et acuité sur ce qu’est la dépression. Un sujet fort dont on parle beaucoup avec les conséquences psychiques du confinement sur de nombreuses personnes fragilisées par cette situation. Passe un beau weekend Nadège, je t’embrasse.

    1. Oui, ce sont de belles éditions. La dépression – le burn-out – est finement abordé. J’aime beaucoup l’écriture sensible de Gaëlle Josse.

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