Qui ne dit mot consent – Alma Brami

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Loin du tumulte de la ville, loin de la rumeur urbaine, loin de tout, Émilie était bien à l’abri dans sa maison, champêtre à souhait. Ils avaient débarqué ici, avec Bernard son mari – oppressé par la vie citadine – et ses enfants, lorsque ceux-ci étaient encore petits. Le temps avait cheminé, la progéniture s’en était allée, les rides sur son visage avaient creusé leurs sillons mais la maison au bout de la route restait la même, inébranlable. Un intérieur agréable confortable et  lumineux, un extérieur paisible avec une terrasse ombragée à la belle saison par une vigne magnifique.

L’existence d’Émilie ne changeait pas non plus. Sans profession, sans permis de conduire, sans passe-temps, sans parents – en désaccord avec son mariage -, Bernard était sa passion son amour son ancrage sa souffrance aussi,  ad vitam æternam… Il était son « Ange », elle était son « Cœur ».

Et depuis toujours dans cette maison défilaient des femmes : des « tatas » pour les enfants, des « amies » pour Émilie, des « invitées » pour Bernard. Toutes « ramenées » par ce dernier, des vieilles connaissances, des filles trouvées sur internet ou ailleurs. La « tata-amie-invitée » du moment logeait dans la grande chambre en haut de l’escalier jusqu’à ce que Bernard se lasse et la chasse. Émilie n’avait pas à s’inquiéter, sa place à elle était particulière, elle était sa femme pour toujours. Celle qui demeurait.

À l’arrivée de Sabine, la douce et résignée Émilie, épuisée par ces années de renonciation sent ses dernières forces l’abandonner.

Un huis-clos suffocant. Une écriture tendue où rien n’est épargné au lecteur, voyeur engourdi et désarmé face à une femme désespérée dont les mots ont été arrachés par l’indicible. Un roman saisissant et glacial.

 

 » Les femmes défilaient. Mais la seule qui reste, c’est toi mon Coeur, tu vois bien que tu n’es pas sur le même plan. « 

« Mon mari me rapportait ses proies, comme un chat victorieux qui dépose aux pieds de son maître un oiseau, un lézard ou un mulot. Il me demandait ce que j’en pensais, laquelle je préférais, il essayait toujours de me convaincre de leurs multiples qualités. Il me racontait ce qu’il voulait, mais je ne devais pas poser de questions. T’es trop curieuse là mon Coeur, ça me met mal à l’aise, j’ai l’impression que tu fais des fiches. Quand il commençait à me complimenter et à me suivre de pièce en pièce, c’était le signal qu’il avait fait le tour de « l’invitée » et qu’il me demanderait sous peu de « l’aider ». J’ai fait une erreur, je n’aurais jamais dû, je ne te mérite pas. De toute façon il n’y a que toi qui sait m’aimer comme il faut, il n’y a que toi qui me connais, ton amour est extraordinaire. Il devenait fébrile, montrait un besoin de moi considérable, comme un enfant de sa mère. Je me rendais dans leur chambre, alors que je n’y étais jamais allé jusque là, je disais puis-je me permettre? Je m’asseyais sur le fauteuil en tweed marron, ce que j’ai à vous dire n’est pas agréable, ni pour vous, ni pour moi. Je mentais. Ce moment était une sucrerie, un délice. »

Qui ne dit mot consent, roman d’Alma Brami,  Mercure de France, Août 2017–

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