La vie en cinquante minutes – Benny Barbash

lavieencinquanteUn cheveu blond égaré sur le maillot de corps de Dov, et c’est l’existence entière de Zahava, sa femme qui va s’effondrer. La stupéfaction passée, la rage surgit. Là voilà qui imagine la femme qui se cache derrière ce cheveu, celle qui lui fait ombrage. Toutes sortes de plans et d’échafaudages se mettent en place dans son esprit, du plus farfelu au plus logique, du plus raisonnable au plus extravagant. La maison est scrutée dans le moindre recoin, les placards sont vidés, les courriers lus, et l’imagination de Zahava cavale à tout va. Un tiroir qui lui résiste et c’est la panique… il lui faut trouver un serrurier au plus vite. Une enquête minutieuse commence.
La jalousie s’est emparée de Zahava avec une violence inouïe. Comment Dov a pu lui faire ça ? Après tant d’années à cheminer ensemble, lui brillant avocat, elle mère au foyer aux petits soins de toute la famille – les deux enfants, un garçon une fille ont aujourd’hui quitté le nid –. Elle pensait le connaître par coeur depuis leur première rencontre. Ils étaient étudiants tous les deux… Dov aurait une vie parallèle, un secret qu’il avait jusqu’ici bien gardé… depuis combien de temps des cheveux blonds se promènent ainsi sur son corps ?
Zahava est allongée sur le divan de son analyste. Trente-sept minutes se sont égrennées dans un silence de plomb et puis elle articule enfin une phrase : « Tout ce qu’il y a entre mon mari et moi, c’est une tache de café. » Et elle s’en retourne dans son mutisme jusqu’au moment où le flot de parole s’écoule. Mais pour que sorte la vérité libératrice, il aura fallu du temps, des allers et retours entre le passé et le présent, des soupçons à éclaircir, des nons-dits à déterrer, des mauvais choix à admettre, des remises en question à prévoir, des souvenirs à digérer, un avenir à considérer…
En un long monologue intérieur, Zahava déroule cinquante ans d’une vie aux multiples plis. Des sillons dans lesquels elle se glisse pour comprendre et déchiffrer ce qu’elle n’a pas pu ou voulu voir. Elle se lance ainsi dans une spirale de réminescences et de digressions en réflexions, tout s’éclaire.
Et c’est finalement grâce à ce cheveu blond étranger qu’elle remontera le fil de sa propre existence, fil dont elle ne s’était jamais écartée. Toujours à suivre Dov, elle n’écoutait plus ses envies à elle, ne décidait plus de rien, ne se projetait plus…
Avec drôlerie et fantaisie, une galerie de personnages (nommés par leur fonction sociale) hauts en couleur – le serrurier, l’analyste, la physicienne, l’écrivain, le détective privé… – et des situations rocambolesques, un rythme effréné et des dialogues savoureux, l’auteur parle du mariage, de ses petites et grandes contrariétés. Un jeu de piste, un puzzle à reconstituer, une quête de soi.

« Le cheveu ne lui laissait pas de répit. Il enflait, s’allongeait et grossissait comme un énorme ver solitaire, se nourrissait grassement de ses angoisses et se régalait de ses soupçons, s’insinuait dans les méandres de son cerveau, s’enroulait avec son corps souillé et gluant autour de ses pensées, surgissait au bord de sa conscience aux moments les plus inattendus, lançait ses tentacules dans les moindres interstices de son existence, s’accrochait aux miettes de sa vie éparpillés aux quatre coins et s’emparait totalement de sa personne. »

« La lecture est un processus créatif autour duquel le lecteur donne un sens au texte lu, complètent les lacunes qui existent même dans les romans les plus construits. Il n’y a pas deux lectures identiques de Guerre et Paix. Une bonne histoire est comme le fleuve d’Héraclite dans lequel on ne se baigne jamais deux fois. Un livre est différent à chaque lecture, qu’il s’agisse du même lecteur ou de deux lecteurs différents. On y met son caractère, son tempérament, son corps, sa vision, sa personnalité, la composition de son cerveau, sa sensibilité, sa culture, sa raison, son âge, son humeur. La qualité de l’éclairage compte aussi, tout comme le lieu de lecture : dans le balancement monotone d’un train, pendant des vacances de rêve aux Seychelles, dans un café bruyant, dans un hopital en convalescence après une maladie grave, en prison pour purger une longue peine, au lit après avoir baisé, au lit avant de baiser. Le moindre changement de ces composantes induit une autre lecture, une nouvelle interprétation, une compréhension originale et singulière, particulière à un individu à un moment donné. »

« Zahava avait depuis longtemps compris que la maîtrise sur tous les dérivés de la jalousie était le principe organisateur des rapports humains et le fondement sur lequel ils reposent. Quel que soit un groupe constitué – un couple, deux amis, un trio de chanteurs, un groupe de jeunes lycéens, une équipe de foot, une ligue contre les accidents de la route, les membres d’un projet communautaire, une alliance bilatérale entre deux pays, un quatuor de musique de chambre, une bande de loups sauvage – il suffit de gratter le vernis égalitaire qui les recouvre pour mettre à jour les rapports de force qui gouvernent le groupe en question. Les gagnants et les perdants ; qui dirige et qui obéit ; qui dépend de qui ; qui exploite qui ; qui humilie qui et qui décide de relever l’humilié ; qui prélève l’impôt et qui l’augmente ; qui aime moins que l’autre ne l’aime. »

La vie en cinquante minutes, roman de Benny Barbash, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech, Éditions Zulma, Mars 2016 —

11 commentaires sur “La vie en cinquante minutes – Benny Barbash

  1. J’ai lu Little Big Bang, qui m’avait beaucoup plu, et le sujet de ce nouveau roman me semble attirant (bien que très différent e celui que j’ai lu).

  2. J’avais lu un de ses romans il y a des années, my little sony, u n truc comme ça, beaucoup aimé, mais depuis je ne vois plus cet auteur, dommage.

    1. My first Sony, je crois. La vie en cinquante minutes était le premier livre de lui que je lisais, je vais poursuivre ma découverte…

  3. Je suis tentée, mais j’ai déjà un roman de Benny Barbash dans ma PAL depuis des années (celui que Keisha cite) et donc je n’en achèterai pas un autre sans savoir au moins si son style me plaît ! 😉

  4. Tu me fais découvrir de bien beaux auteurs ma Nadège…
    On a envie de cheminer à travers le parcours de cette femme, de sa vie qui s’effondre à sa reconstitution. Une précieuse « quête de soi »…
    Je t’embrasse

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