Enjoy – Solange Bied-Charreton

enjoy

Charles est un jeune homme de vingt-quatre ans. Nouvellement installé dans un appartement que lui a légué sa marraine, il le meuble et le décore avec soin car celui-ci n’est ni plus ni moins que sa vitrine. En effet, Charles fait partie de la fameuse génération « Y », ayant grandi avec les jeux vidéo, les ordinateurs personnels et bien sûr l’Internet. Continuellement connecté aux nouvelles technologies, ses amis sont virtuels et les filles qu’il regarde s’affichent sur un écran. Abonné à un réseau social nommé ShowYou, il se doit, s’il ne veut pas voir disparaître son compte, mettre en ligne une vidéo chaque dimanche : son appartement est ainsi scanné sous toutes les coutures…

Les « vrais » gens, il les rencontre lors d’évents (rassemblement d’internautes où finalement il se sent plutôt mal à l’aise) et à son travail où ses collègues consultants sont des clones de lui-même… Ces jeunes gens mènent leur existence à travers les écrans, au rythme des vidéos et des photos amateurs, ils mattent la vie des autres. Charles évolue dans un monde d’images, de faux-semblants, de voyeurisme.

Un jour, pourtant, il rencontre Anne-Laure; étudiante en lettres, chanteuse dans un groupe de Rock, elle aime lire et a une totale aversion pour l’univers virtuel. Cette rencontre va l’amener à s’intérroger sur sa vie, sa famille dont il s’est éloigné et son besoin d’exister à travers les réseaux sociaux.

Pour son premier roman, l’auteure frappe fort en réagissant à ce phénomène des réseaux sociaux, qu’elle décrit parfaitement bien. Elle nous fait le portrait d’une génération sûre d’elle (en apparence), ambitieuse, volontaire, qui veut tout contrôler. Mais l’homme est faillible. Charles se rend compte que sa vie est ailleurs ; apprendre à connaître son père, écouter les gens, les regarder bouger, les toucher… Il comprend qu’il faut donner à son existence de la matière, de la consistance, du sens. Il constate que les images comblaient les vides superficiellement mais pas en profondeur.

« Tout s’éclairait soudain, sans que je n’y puisse rien changer. Le loisir se mêlait au travail, le loisir exigeait du travail, tandis que le travail était un nouveau loisir. Le travail était aussi divertissant que le loisir exigeant. Travail et loisir étaient, au fond, la même chose. Nous passions notre temps à nous amuser à gagner de l’argent.(…) En contrepartie, nous avions des passions (la danse, les voyages, la nourriture, les habits et les camescopes) en tous points vitales, sérieuses même, du point de vue de cette vie divertissante jusque dans sa circonspection perpétuelle, que nous menons. Pour résumer, nous gagnions notre vie à tenter de la perdre le mieux possible. »

« A l’emmurement de l’histoire dans l’agitation du présent des villes, à ma propre sève handicapée dans des préoccupations logistiques, empêchée dans des activités professionnelles, aux chômages et aux trains de vie qui oeuvraient pour ma désertion. L’alcool du vide puis la recherche du plein, sans l’atteindre, m’ont fait tourner de l’oeil. C’était n’être que somnambule, narcoleptique peut-être. Ce n’était pas être vivant. Je n’ai rien cru ou personne, j’ai simplement aimé ma demeure hors la vie et la souffrance que ça faisait, cette joie souffrante malgré tout de s’en rendre compte. »

Enjoy, premier roman de Solange Bied-Charreton, Stock, 2012 —

Laisser un commentaire