« La famille » – Shilpi Somaya Gowda

Il était le « ciment », le liant, celui qui la tenait toute entière, sa famille – mais ça, il ne le savait pas encore. Il était le plus petit, le plus drôle, aimable et malin, attentif et curieux. Il avait 8 ans, et s’appelait Prem. Une famille soudée et heureuse, composée du père Keith – américain avocat d’affaire -, de la mère Jaya – indienne travailleuse sociale, de la grande sœur Karina – collégienne de 13 ans. Leur vie à tous les quatre coulait doucement avec ce qu’il faut de secousses pour la rendre émouvante. Il aura suffit de quelques minutes d’inattention pour que se produise l’accident. Une eau bleu scintillante au soleil, un petit garçon aventureux. Engloutissement de Prem et naufrage de la famille toute entière. La perte de ce fils et de ce frère disloquera peu à peu la cellule familiale. Le père se jettera corps et âme dans son travail, la mère se tournera vers la spiritualité, Karina – présente sur le lieu de l’accident – grandira à l’ombre de ce frère tant aimé. Mari et femme se retrancheront chacun dans leur bulle de souffrance et se sépareront. Karina, au plus mal dans sa chair, s’auto-mutilera jusqu’à ses premiers émois. Une parenthèse enchantée brisée par une infidélité… des études scientifiques, un travail à côté… mais constamment le passé l’obsédera. En quête d’une place, de sa place, quelque part, dans ce monde. À la recherche d’une famille de rechange peut-être… Alors quand elle rencontre Micah et le Sanctuaire, sa communauté où tout n’est qu’amour partage et bienveillance ; Karina respire à nouveau et se livre sans réserve à ses nouveaux amis. Un nouveau foyer ou l’entrée d’un piège? Un roman prenant sur la dislocation d’une famille, le deuil et la culpabilité qui en découle, et les dérives sectaires. La construction narrative faisant alterner le regard des différents membres de la famille – y compris celui de Prem, qui veille – est admirable.

« Je me suis toujours considéré comme le clown de la famille, mais maintenant que je suis parti et que je vois ce qu’ils sont devenus sans moi, je sais que je n’étais pas seulement le clown, mais le ciment. J’étais celui qui les faisait tenir ensemble, que ce soit pour rire de ce que j’avais fait ou se fâcher quand je les ennuyais. Ils devaient toujours se préoccuper de savoir où j’étais, qui resterait avec moi, qui m’emmènerait à l’entraînement de base-ball. Une fois que je n’étais plus là pour qu’ils se tracassent, tout s’est effondré. »

 » Quand ma famille existait encore, on échangeait tout le temps les paires. Maintenant, chacun est dans un monde et dérive de plus loin des autres. Kiki n’a présenté James à personne, Papa garde ses petites amies pour lui et personne d’autre que Maman, n’a rencontré le gourou. (…) Plus chaque personne se rapproche de sa paire, moins elle se souvient de notre famille. Même s’ils ont tous l’air heureux, je sais qu’ils continuent à être tristes que je ne sois plus là. C’est comme ça, les paires. Même les meilleures ne durent pas éternellement. »

« Il y a tant de façons de mourir sans réellement quitter le monde. Vous pouvez retrancher une partie de vous-même ou de vos sentiments, cesser de faire les choses que vous aimez ou perdre de vue vos rêves et vos objectifs. Vous pouvez vous séparer de ceux qui vous aiment ou ne jamais vouloir trouver l’amour, vous retirer du monde où traverser la vie sans rien chercher de plus grand que vous. On pourrait croire que ce sont des façons de vivre, mais c’est faux. Ce sont des façons de mourir. »

« La famille », roman de Shilpi Somaya Gowda, traduit de l’anglais par Léa Drouet, éditions Mercure de France, février 2021 —

7 commentaires sur “« La famille » – Shilpi Somaya Gowda

  1. ça doit être une histoire très touchante sur le fait de (sur)vivre après un deuil. Comment affronter l’absence ? Les éditions Mercure de France publient de beaux romans. Très touché par ta façon tout en sensibilité de raconter ce drame. Belle soirée Nadège. Je t’embrasse.

    1. Comme toi, j’aime beaucoup les éditions Mercure de France, toujours de très beaux textes, sensibles. Et ce texte-là est beau et pertinent.

  2. Il doit passionnant et bouleversant, ce roman. Angoissant aussi. Ces histoires de sectes et leur emprise me troublent toujours.
    Le désespoir peut faire tomber les plus fortes des barrières de sécurité.
    Bises Gisèle.

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