Funambules – Charlotte Erlih

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Trois personnages, sur un fil tendu entre ciel et terre, avancent. Si Julien est vraiment funambule, pour Ada et Judith la métaphore est filée. Leur existence est sans cesse traversée d’obstacles, rendant leur progression difficile. Elles naviguent entre deux eaux, redoutent l’engagement, la prise de risque. La chute menace, le vide affole. Il leur faut trouver l’équilibre.

Ada a écrit le scénario d’un film, qu’elle rêve de tourner. Fragilisée par des soucis financiers et une vie sentimentale au point mort, elle s’apprête à rencontrer un producteur. Une chance ultime qui ne tient qu’à un fil. Un face à face angoissant, une joute verbale intense. L’homme place Ada devant des contradictions, des invraisemblances, des lieux communs, la pousse dans ses retranchements. L’imagination s’emballe, il faut délier les nœuds.

Voilà le fil de l’histoire inventée par Ada. Judith est journaliste, justement en train de filmer Lorenzo un funambule dans un petit cirque ambulant à Mimizan. C’est l’accident. L’acrobate tombe. Elle arrête son reportage, ne recueille aucun témoignage, son supérieur enrage, elle est virée. Désarçonnée et seule, Judith erre dans la pinède où elle rencontre Julien, un ami funambule de Lorenzo. La façon qu’a cet homme de braver le danger fascine et charme Judith. Elle lui lance un défi : évoluer sur un fil tiré entre deux tours de Notre-Dame de Paris, elle le filmerait, les mettant tous deux dans la lumière…

Des équilibristes de la vie, une mise en abyme habile, une écriture alerte, un premier roman réussi.

 » Un homme flotte entre deux arbres. Fragile. Puissant. Il se déplace avec une aisance prodigieuse, une fluidité fantomatique. Ses bras oscillent, lianes souples. La lueur de la lune se reflète sur son torse nu et révèle sur ses omoplates un ample tatouage que Judith n’arrive pas à déchiffrer. Reculant pour mieux admirer cet étrange Icare, elle fait craquer une branche. La surprise déséquilibre l’oiseau, qui bat des ailes avant de recouvrer sa stabilité. Il gagne l’extrémité de son fil – que Judith remarque seulement, et se pose sur une branche. »

 » D’en haut, il ne reste rien des passions des uns ni des désespoirs des autres. Rien des estomacs vides, des ossements laissés derrière soi dans de lointains pays, ni des corps éreintés ayant passé une nouvelle nuit dehors. À quatre-vingts mètres au-dessus du sol, la souffrance et la saleté sont invisibles. »

 » Le sourire de Judith s’épanouit. Son plaisir se libère. Elle relâche la main de Julien, s’en détache. Elle bat des bras pour conserver sa stabilité. Tient seule. Fait un pas, bientôt un autre. Le fil se coule dans ses pieds nus, un picotement tiède se diffuse dans son ventre, résurgence indéterminé d’enfance. Cette période lointaine où, chaque jour, elle se dépassait, et croyait que cela durerait toujours… »

Funambules, roman de Charlotte Erlih, éditions Grasset, mai 2018 —

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