Tom, du haut de ses dix-sept ans, étouffe au sein de sa famille à Dunley, au fin fond de la campagne australienne. Il a un irrépressible besoin de partir d’ici et son rêve d’ailleurs va s’exaucer et le faire naviguer en eaux troubles, mais envoûtantes. Aujourd’hui écrivain confirmé, il se souvient avec nostalgie de cette année-là, 1986, passée à Melbourne. Il y arriva en train en plein hiver et la clameur, les couleurs et les odeurs de cette ville le séduisirent immédiatement. Ce débarquement à Melbourne, c’était la fin d’une période et le commencement d’une autre, plus palpitante. Il venait pour étudier les lettres et les arts à l’université, il voulait devenir auteur. Son père venant d’hériter de l’appartement de Tante Helen, décédée dans l’indifférence familiale, Tom pourrait y loger à moindre frais. Et puis, il pourrait également conduire la vieille mercedes de la défunte. Le jeune homme marcha avec hâte vers Cairo, une résidence Art Nouveau, qui abriterait sa nouvelle vie d’étudiant, bien décidé à goûter à son indépendance et aux émotions qu’elle lui procurerait.
Et les mois qui suivirent s’écoulèrent à une vitesse vertigineuse. Cairo était peuplé d’artistes, de marginaux et de bohèmes. Tom était fascinés par ces voisins, pittoresques à souhait, qui évoluaient avec une liberté absolue – semblait-il – dans le monde de l’art. Il aimait la légèreté, l’insouciance, la fantaisie de ces « personnages ». Happé par leur musique et leur peinture, ensorcelé par leurs paroles et grisé par leur liberté, hypnotisé par la sublime Sally, Tom oublia de s’inscrire à l’université. Et puis, se disait-il, cette compagnie des artistes n’était-elle pas la meilleur école pour apprendre la vie, l’amour, l’art… ?
Mais ce rêve éveillé va être assiégé par la réalité, car sous le glacis se dissimule des affaires beaucoup plus sombres, des manipulations insidueuses, et l’organisation d’une arnaque d’une grande ampleur… Les apparences sont parfois trompeuses, et Tom, avec la fougue et la naïveté de sa jeunesse va s’y heurter.
Un roman initiatique où enchantement et désillusions se mêlent. Le lecteur est immergé dans le monde artistique des années 80 et est emporté avec Tom dans une histoire de vol et de faussaires – un fait divers réel –. Chris Womersley évoque l’élan de la jeunesse, sa naïveté, ses désirs, ses déceptions puis la nostalgie de ce temps révolu qui ôte les regrets ; les erreurs apparaissant nécessaires à la construction d’une vie.
« Le premier tram du jour passa dans la rue. À l’est, au-dessus des montagnes lointaines, le ciel s’éclaircissait. Des nuages boursouflés prenaient une teinte orange foncé, comme si, plutôt qu’un lever de soleil, c’était une splendide éruption qui avait lieu, d’une échelle si cosmique et à une telle distance que ses effets étaient quasi indiscernables. Au premier plan, un fouillis d’antennes jaillissant des toits, les tours HLM à quelques rues de là, dans Wellington Street, un mur de graffitis. Cette vue aurait pu être décourageante pour certains – et même déprimante – mais ce matin-là, elle m’inspira la plus exquise mélancolie. J’aime le beau, mais c’est en général ce qui est méprisé (béton, barbelé, ruelles et objets cassés) qui m’inspire la plus profonde émotion. Je trouve difficile à résister à ce charme brut. »
« Le premier amour est comme une nostalgie du présent : on sait, à une sorte de niveau moléculaire, que ça ne se reproduira pas. La tragédie, c’est qu’on ne peut jamais calculer cela, jusqu’au jour où l’on sait que ça ne reviendra plus. »
« La valise contenait un bric-à-brac de pinceaux en crin de cheval, couteaux à palettes encroûtés de peinture, flacons de poudres colorées, bocaux remplis de diverses essences, bouteilles d’huile de lin, pages de notes, tampons encreurs, cachets en caoutchouc et tout un attirail. Il y avait aussi des morceaux de charbon, des bouts de craie, des petits pots de mordants ou de diluants. Une fois ouverte, elle dégageait une odeur de terre, puissante et chaude. Je compris alors la tentation fabuleuse du faussaire : ce désir de se mesurer à un génie reconnu du siècle. Tout artiste entretient une conversation avec ses prédécesseurs. Comme T.S Eliot l’a montré, aucun artiste ne se comprend indépendamment des autres. Le défi de reproduire un Picasso, c’est comme de monter sur un ring pour combattre Mohamed Ali, écrire une pièce de théâtre à laquelle Shakespeare aurait pu assister depuis les coulisses, jouer du Beethoven. Mon talent vaut le sien, pense le mystificateur. Pourquoi est-il riche et célèbre, alors que moi je trime dans l’ombre ? C’était encore plus valable pour Gertrude, qui en tant que femme avait dû se battre pour être crédible dans un monde cultivant le mythe de l’artiste mâle angoissé et solitaire : Rothko, Pollock, Caravage, Van Gogh. Comme la plupart des faussaires, elle n’était pas motivée par l’appât du gain ; elle voulait simplement égaler le maître. »
— La compagnie des artistes, roman de Chris Womersley, traduit de l’anglais (Australie) par Valérie Malfoy, Albin Michel, Avril 2016 —
J’avais lu son premier roman (je crois) et n’avais pas été emballée.
J’avais beaucoup aimé Les affligés – je ne sais pas s’il s’agit de son premier roman… –
Les artistes et les marginaux, des gens fascinants qui, sous les apparences d’une certaine liberté, cachent souvent un univers fragile, Nous sommes tous « humains », peu importe l’étoffe…
Une autre superbe critique :-*
Bon weekend ma Nadège
Une agréable immersion dans l’ambiance bohème mais ici si les artistes sont fascinants, ils sont aussi faussaires… Bises.
Un livre australien, déjà rien que ça, cela me donne envie d’aller y voir de plus près. Et puis, les thèmes abordés sont tentants ! Bon dimanche à toi.
L’Australie te passionne ? Un joli roman avec de chouettes description de Melbourne. Bises.