Manoir des mélancolies – Jean-Paul Klée

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Le prosateur nous livre ici le fruit de ses promenades dans les rues de la ville aimée, Strasbourg, qu’il nomme joliment Strasbouri. Il évoque les petits riens qui parsèment le quotidien, les gens qu’il croise et ceux qu’il ne verra plus, il parle de la guerre, de la modernité, de l’écriture, de ses souffrances, des petites bulles de bonheur aussi qui apparaissent ici et là, de la beauté du monde et de sa laideur, de la fuite du temps. Une certaine mélancolie enveloppe chaque texte.

Avec sa petite musique personnelle, Jean-Paul Klée nous embarque ou pas dans son univers. Un univers où il n’est pas aisé de pénétrer. La singularité de sa prose peut en laisser quelques-un sur le seuil de son manoir : les mots se précipitent, les phrases se juxtaposent sans ponctuation, l’usage régulier de l’esperluette (&) décontenance, les parenthèses se succèdent, l’italique surgit sans crier gare, les points de suspension s’égrennent à la suite d’exclamations, l’orthographe est changeante et les majuscules jaillissent lorsqu’on ne les attend pas.

Personnellement, j’ai eu du mal à trouver une mélodie dans cette musique-là. J’ai eu la sensation d’avoir affaire à une fanfare bruyante et percutante. À plusieurs reprises, au détour d’une phrase, l’émotion affleure mais ne s’envole pas. Je me dis que cette prose mériterait d’être écoutée, lue à voix haute par son auteur, lui-seul connaît la manière dont elle fonctionne.

Une poésie qui n’a pas su me toucher.

Le coucou du coeur

« Pas d’enfants, quel dommage !… pas encor achevé fini terminé (mais déjà né)… ni abouti tout à fée ni cheminée pas de lit pas charpenté à peine debout ? … Je ne suis pas encore qui je suis c’est basta tant pis (pas encore complété) je n’ai pu enfanter ni quasiment m’accoucher Alors j’ai tourné dans les rues j’ai regardé sans m’accrocher ni m’incruster… La vie sur moi s’est refermée avec ses milliers de plis Mon tour est-il terminé Quelle maladie va-t-elle tôt ou tard me tisonner m’entrelarder ? D’ici là finissons mes travaux (les ramparts dressés contre l’oubli) et Nul n’en saura rien nul n’a mesuré le DOULOIR qui l’imprégnait (le coeur devenu bleu noirci) ah quel flambeur c’était ?… Il se promenait à Strasbouri s’installait aux terrasses des Kafés où noir sur blanc il se développait (racinage s’allongeant sous les pavés) il n’en pouvait plus & les cheveux s’envolèrent jusqu’au ciel blanc qui s’ourdira d’orangé vaguement citronné saumon lilas couleur thé !… or la tendreté m’alourdissait tant & tant qu’à la fin j’ai disparu dans l’horizon assourdi d’une Douceur jamais parluré !… »

Livre reçu en Service de Presse.

Manoir des mélancolies, recueil de poèmes en prose de Jean-Paul Klee, éditions Andersen, Septembre 2014 —

11 commentaires sur “Manoir des mélancolies – Jean-Paul Klée

  1. C’est dommage l’idee etait jolie mais d’apres ton ressenti et surtout l’extrait que je peux lire, cette prose n’est pas pour moi non plus.

  2. Je n’entre pas non plus dans ces univers trop déstructurés qui heurtent la lecture, alors quand on joue avec l’orthographe (on peut jouer sur les mots… ou pas), non seulement je ne suis pas entrée mais là je sors !!! 😉

      1. C’est difficile la poésie, Antonin Artaud disait qu’il fallait balancer les classiques aux orties et écrire du « neuf » ; T.S. Eliott (avec qui je suis davantage d’accord) disait au contraire qu’il ne fallait pas avoir la prétention de vouloir réinventer la poésie mais de se servir de ce que les aînés avaient écrit pour réinventer les mots… Bref, je pense qu’il n’y a pas de définition parfaite mais (pour moi) il faut vibrer en la lisant, pas se contenter d’un exercice de style ! 😉

      2. En même temps, je trouve cela intéressant ces variations poétiques, les exercices de styles. Personnellement, cela me touche peu mais je me dis que c’est bien que ce genre poétique existe, certaines personnes y sont sûrement sensibles.

  3. La musique d’un poème est tellement importante. Je peux comprendre ta déception… En lisant ton extrait, je crois que j’aurais eu du mal aussi. Bisous à toi

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