La mer noire – Kéthévane Davrichewy

mernoire

Tamouna a l’esprit embué ce matin en se réveillant, car cette journée qui s’annonce est particulière : ce soir, la vieille dame soufflera ses quatre-vingt dix bougies entourée de ses proches. L’émotion l’a saisit d’autant plus que Tamaz, l’amour de sa vie, devrait être là.

Le temps passant, son corps est devenu fragile, ses déplacements difficiles, son appareil respiratoire toujours à proximité, mais son sourire n’est pas feind. Sa vie a été bien remplie. Sa famille prend soin d’elle. Tamouna est lucide, elle sent bien qu’elle basculera bientôt de l’autre côté mais elle est aujourd’hui sereine et apaisée.

Kéthévane Davrichewy déroule, le temps d’une journée, l’existence entière de Tamouna. Par aller-retour incessant entre le passé et le présent, elle retrace l’histoire de cette femme, née en Géorgie et contrainte à l’exil. En attendant la fête organisée pour son anniversaire, Tamouna se remémore son enfance joyeuse à Tbilissi, ces étés à Batoumi près de la Mer Noire, ses grands-parents, ses cousins, son père militant de la première heure, sa rencontre avec Tamaz… Puis c’est le déracinement. Les russes veulent s’emparer de son pays. Un bateau l’emporte elle et les siens vers la France. La terre que Tamouna chérissait tant s’éloigne, avec son grand-père et sa grand-mère qui ont souhaité demeurer là.

Mais la vie continue malgré le chagrin : retrouvailles près de Paris avec d’autres géorgiens, intégration difficile dans un pays inconnu, barrière de la langue, désir de garder traditions et coutumes, mariage, enfants, séparation, décès, pauvreté, travail, renoncements, décisions à prendre, parenthèses enchantées avec les apparitions soudaines de Tamaz – amour singulier qui pousse Tamouna à avancer quoiqu’il arrive.

Un beau roman qui évoque les exilés, thème à la résonance universelle. Une histoire d’amour émouvante. Une femme en fin de vie, qui se retourne sur son passé. Avec tendresse, elle voit défiler des périodes de son existence, heureuses ou tristes. C’est sa vie. On quitte Tamouna entourée des siens, un amour incommensurable se dégage  autour d’elle. Elle respire, l’esprit tranquille.

« Ici nous ne faisons que nous retourner. Avancer, personne ne semble l’envisager. Nous survivons, nous nous préparons à rentrer et à nous battre pour une Géorgie libre. À quoi bon avancer sur un sol qui se dérobe? »

« Plus personne ne prend ma mère dans ses bras, plus personne non plus ne me prend dans ses bras. Nous sommes deux abandonnées, incapables de nous réchauffer l’une l’autre. Au réveil, je pense différemment, je crois que Déda et moi nous apportons plus que nous ne le pensons. Notre soutien mutuel est inébranlable. »

«  Nestane et Datho ont acheté une petite maison à la campagne, en lisière d’un champ. Nous y passons des journées ensoleillées. Déda dans sa chaise roulante, moi, assise sous les arbres, devant mon chevalet. Je me remets à peindre. Le champ, les couchers de soleil à l’horizon, sont une source inépuisable d’inspiration. Lorsque je tourne la tête vers la maison de bric et de broc qui ressemble à la maison des trois ours dans le conte de Boucle d’or, lorsque je vois la grande table dressée sous les arbres, les chaises dépareillées, la famille autour, les enfants qui courent, je pense à un navire enfin amarré. »

La mer noire, roman de Kéthévane Davrichewy, Sabine Wespieser Editeur, Janvier 2010 —

8 commentaires sur “La mer noire – Kéthévane Davrichewy

  1. Tu me donnes très envie de sortir immédiatement ce livre de ma PAL, c’est le même auteur qui a écrit « les séparées » non ? Il me tente aussi terriblement celui là…

  2. Il me semble nostalgique ce livre… le genre de roman que j’ai envie de lire durant l’automne… J’aime bien cette maison d’édition qui fait des choix originaux je trouve. Bon we !

    1. La nostalgie est bien présente effectivement.L’histoire d’une exilée, déracinée de son pays, adoptée par un autre, avec tous les virages et les obstacles pris tout au long de son existence. Je suis tout à fait d’accord avec toi sur l’originalité et la qualité du choix éditorial de cette maison d’édition.

    1. Ah oui tu y vas franchement !! Je n’irais pas jusque là… en même temps je crois n’avoir lu qu’un Harlequin dans ma vie alors plus trop de souvenir…

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