Un style épuré, des mots simples, des phrases courtes, un texte bref au présent. On est dans les pensées de Monsieur Linh, on voit par son regard. Une poignée de personnages, peu de détails, de la pudeur. Monsieur Linh est un vieillard qui a fui son pays en guerre en tenant contre lui blotti, un nouveau-né ; Sang diû, sa petite fille - ses parents sont morts sous les bombes -. Le vieil homme s’accroche autant à sa petite fille qu’elle s’accroche à lui, ils forment à eux deux un bien étrange couple ; la jeunesse et la vieillesse entrelacées, les balbutiements de la vie pour l’une et l'approche de la mort pour Linh. Malgré tout, indéfectiblement liés l’un à l’autre, plein d’espoir et de lendemains meilleurs. Elle est sa béquille, son repère, son futur, ses souvenirs aussi. Sans elle, il n’aurait pas cette force qui le pousse à l'action, à s’intégrer dans ce pays qui les accueille.
En ces temps pandémiques oppressants, il est doux de plonger dans les eaux troublantes du désir – tant il est exacerbé – de ce roman graphique. Léonie Bischoff évoque un épisode charnière de l’existence passionnante et renversante de la diariste et écrivaine Anaïs Nin, dont l’œuvre est justement traversée par le désir charnel. Nous sommes dans les années trente, son mari et elle viennent de s’installer à Louveciennes en banlieue après avoir passé trois ans à Paris, puis des années à New-York. Hugo est absorbé par son travail – de banquier – délaissant sa passion pour la poésie, Anaïs s’ennuie. Son statue de gentille épouse de la bonne société lui pèse chaque jour davantage. Depuis l’enfance, elle écrit un journal où elle déverse ses sentiments les plus intimes. Elle aimerait transformer cette écriture quotidienne dont elle est devenue dépendante, en fiction. Écrire un roman… mais ses mots ne la mènent pas là. Et elle sent au fond d’elle « un érotisme auquel elle n’a pas accès ». Elle aime son mari mais une frustration l’assaille. Seule la danse espagnole à laquelle elle s’adonne régulièrement auprès d’un professeur révèle en elle une autre Anaïs, une femme sensuelle emplie d’un désir qui ne demande qu’à bondir. Puis Henry Miller et sa femme June entrent dans sa vie, et la bousculeront à jamais. L’un et l’autre vont faire jaillir d’Anaïs l’ardeur sexuelle contenue, la libérer, la dévoiler en une femme à plusieurs facettes. Anaïs se découvre forte et fragile, fascinante et envoûtante, sombre et lumineuse, troublante et troublée, toujours amoureuse… elle multiplie les rencontres et expériences, et saisie la portée des mots sur les sens, de l’esprit sur le corps. Voluptueusement défilent les mots et les dessins délicats et sensuels, la douceur des traits et des déliés aux crayons de couleurs, les mauves les orangés les bleutés, la rondeur des courbes, l’ondulation de la chevelure d’Anaïs et de la mer et son ressac, du souffle du vent – du désir -, la luxuriance de la végétation qui dévore merveilleusement certaines pages jusqu’à l’extase. Un roman graphique élégant sensuel surréaliste poétique amoral… une pulsion de vie.
La voix de Zacharie, dix-neuf ans s’élève, claire vive et déterminée. Seul, il parle à cet enfant tant désiré, encore lové au creux du ventre maternel. Dans un flot de mots, dans un bouillonnement d’émotions, il s’adresse à lui – à elle ? il ne sait pas. Ses sentiments jaillissent pêle-mêle, ses propos sont parfois décousus, mais sa joie est immense. Un avenir se dessine à trois, une impatience palpable, un désir fort, une force incommensurable, une confiance à toute épreuve, une évidence…Père, il deviendra bientôt. Et sa jeunesse n’est pas une entrave, quoi qu’en disent certains. Alors il dit la rencontre avec sa jolie maman, Katell, les premiers regards sourires et frôlements, il révèle son amour son envie de bébé, il se souvient de la trop longue attente devant le test de grossesse, de la déferlante de sentiments à l’échographie, de l’annonce à sa famille. Il imagine les difficultés et ses nouvelles responsabilités… Il n’idéalise pas, il réalise. Et il est heureux. Dans tout son être, cela s’agite, mais rien de grave ne se profile. C’est une tempête de neige - référence à la nouvelle de Richard Brautigan La plus petite tempête de neige jamais recensée -, un débordement d'amour, un roman-ouragan.
Toute petite est Magda, mignonne souris si minuscule qu’elle ne cesse de se rehausser, en marchant sur la pointe de ses pattes. Trop pressée de grandir! Et ça la rend triste, de constater son reflet inchangé dans la vitre. Sa maman lui a dit, pourtant, qu’il fallait laisser passer le temps. Seulement, Magda en a assez d’attendre. Elle a beau s’amuser avec son doudou pendant des heures pour faire couler ce temps, il est toujours trop lent! Néanmoins, lorsqu’elle est le soir, dans son lit-coquille-de-noix, l’obscurité bleutée la fait se recroqueviller. Les angoisses de la nuit semblent la rendre plus petite encore… Décidément, c’est pas si facile de grandir, il faut savoir être patient et laisser le temps au temps… Quel plaisir de retrouver les mots doux de Karen Hottois et les dessins lumineux d’Anaïs Massini! Un album sur le désir de grandir, les petites peurs qui l’accompagnent et la présence rassurante d’une maman. Une douceur qui invite aussi, à profiter de chaque instant, précieusement.
Dans la tête de Nénette, il y a plein d’oiseaux. De ses doigts qui s’agitent, sortent des papillons. Dans son yaourt aux fruits, on trouve du jambon. Sous ses couettes, volettent des chansons, et des images jolies. Dans ses mains, vont et viennent des dessins. Dans son cartables, elle glisse des petits bateaux de papiers pliés, toujours prête à les faire naviguer. Quand ses grands yeux bleus observent pendant des heures, une araignée tisser sa toile, son corps tout entier se balance en cadence. L’imagination de Nénette est immense, mais la partager est difficile. À l’école, on la chahute, on ricane devant elle. On se moque de sa différence. Alors souvent, elle est seule. Mais un jour de pluie, No, un garçon de sa classe est touché par cette petite fille pas comme les autres. Il y a tellement de beau en elle, dans ses gestes, dans son regard, dans ses histoires… Il y a bien longtemps qu’un album jeunesse ne m’avait pas serré le cœur à ce point. Est-ce dû au doux visage de Nénette traversé par le nuage de l’autisme, à la prévenance émouvante et belle de No, à l’inventivité qui sauve de tout, à la beauté d’une amitié naissante, aux crayonnés sensibles si lumineux…? Dans ma tête à moi, il n’y a pas d’oiseaux, mais il y a désormais cette petite fille aux yeux bleus son ami No un bateau jaune, et tous tourbillonnent joyeusement.