Les plumes d’Asphodèle (2)

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Entrer dans la lumière

Gabrielle étudie le reflet de son visage dans le miroir. Les cheveux retenus par un bandeau, le fard noir sur les paupières, le teint lumineux et cette bouche rouge écarlate. Elle ne s’était pas envisagée de cette façon. Elle ressemble à ces filles photographiées dans les magazines de mode. Pas d’aspérité sur la peau, aucun pli. Tout est lisse et soyeux. Beau mais irréel. Elle se penche, ouvre grands les yeux. Même eux paraissent différents. La maquilleuse a fait du bon boulot, le masque est parfait. Gabrielle a l’impression d’arnaquer, de duper. D’être quelqu’un d’autre. Mais c’est justement ce qu’on lui demande ici, jouer un rôle. Et puis, pas de pudeur en ces lieux. Son corps, juste revêtu d’une nuisette, tremble. La bretelle droite glisse, Gabrielle la remonte doucement sans quitter son regard du miroir. Même ce geste est factice. Trop affecté. Si loin d’elle.
Elle n’est pas seule dans la loge. Une autre jeune femme se fait maquiller, en déshabillé elle aussi. Elles se sont juste fait un petit signe de la tête, par miroir interposé. La costumière arrive et leur passe à toutes deux des robes style empire – le film se déroule au temps de Napoléon – Gabrielle attend qu’on l’appelle. Il est de tradition qu’être figurant demande de la patience. Enfin, c’est ce qu’on lui a dit… Gabrielle foule un plateau de cinéma pour la première fois. Elle a trouvé la petite annonce dans un de ses  abonnements presse, en musardant un soir d’hiver avec ses amies dans son studio d’étudiante. Elles fêtaient l’épiphanie ensemble autour d’une galette. Chanceuse, la couronne sur la tête, la fève entre les doigts, Gabrielle avait répondu à l’annonce. Pour s’amuser. Et gagner un peu d’argent. Le casting réussi, là voilà donc aujourd’hui dans les coulisses, dans l’envers du décor, affolée, au trente-sixième dessous mais consciente de vivre un moment à part dans un endroit fabuleux.
On frappe à la porte. C’est le moment. C’est maintenant. Gabrielle et l’autre figurante se lèvent et suivent le technicien, leur coeur battent la chamade. Elles esquivent tant bien que mal l’entrelacs de cables et de caméras. Au tréfonds de son âme, Gabrielle tressaille : elle vient d’apercevoir les deux acteurs principaux. Quel privilège d’être en la présence de ces monstres sacrés. Frôler ainsi les arcanes du cinéma.
On la place dans le champs. Les acteurs viennent la saluer. Aucun mot ne sortira de sa bouche. Assise, elle fera mine de converser avec sa voisine de loge. Un silence de plomb se fait sur le plateau, le clap retentit.
Gabrielle deviendra-t-elle une étoile du cinéma? L’avenir nous le dira.

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Les mots à insérer dans le texte : nuisette, tradition, trente-sixième, fève, noir, tréfonds, envers, tarabiscot, bretelle, musarder, abonnement, arcane, affoler, arnaquer.

On peut laisser un mot de côté… ce que j’ai fait cette fois : impossible de placer tarabiscot!

Les textes des autres participants sont chez Emilie

22 commentaires sur “Les plumes d’Asphodèle (2)

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