Au-dessus d’elle, le ballet des oiseaux, leurs cris, leurs battements d’ailes. Devant elle, la lande, désolée, qui semble murmurer ses légendes ancestrales. Puis la mer turquoise, ses plages de sable fin, ses déferlantes, ses rochers, ses falaises. Non loin l’Écart verdoie, la bande côtière d’herbe rase abrite selon la saison agneaux et oiseaux marins. Ici et là, des vestiges néolithiques côtoient des fermes hydroliennes. Peu de maisons, peu de gens. Seul le vent s’agite. On se croirait à l’écart du monde, en marge. Le paysage est éblouissant, étourdissant. Grisant, vertigineux. Elle est sur une île, dans l’archipel des Orcades au nord de l’Écosse. Cet endroit ne lui est pas inconnu, elle a passé son enfance et son adolescence ici. Dans la ferme de ses parents. C’est là qu’elle a commencé à boire… À vingt ans, elle a eu l’envie de partir. Le besoin d’être bousculée par la foule, d’entendre le tumulte de Londres, de rayonner, de se mêler, de participer… Mais les tentations sont grandes dans cette ville qui brille tant, les nuits sont démentes, l’alcool coule à flots dans ses veines, dans sa vie. La laissant bientôt terriblement seule, sans amour, sans amis, sans travail. L’ivresse pour compagne. Elle sombre. Pour se tenir à nouveau debout, il faut que ses démons la quittent. Combattre l’addiction, la faire vaciller. Les Alcooliques Anonymes lui tendent la main, elle s’agrippe, se cramponne. C’est violent, compliqué, douloureux. Difficile de ne pas céder, de ne pas fléchir. Alors, pour se redresser, le retour sur les terres natales s’impose comme une évidence. Contempler, observer et comprendre la nature environnante, réfléchir, s’occuper et entreprendre. Agir sur l’extérieur pour influer sur l’intérieur. S’élever pour se rétablir.
Simplement beau et sincère.
« Aux Orcades, j’étais grande et tout me paraissait petit. J’étais en sécurité dans un endroit sain, où tout coulait de source. Je n’avais qu’une envie : partir. Puis je me suis engouffrée dans la grande ville, j’ai fait miennes son énergie, sa diversité, je suis devenue responsable de mes actes. À Londres, impossible de regarder chaque visage, de croiser le regard de chaque passant – pourtant, j’aurais voulu toucher tout ce que je voyais. J’observais tout, rien ne m’échappait. Difficile de me faire un nom dans un endroit pareil, mais je m’étais juré d’y parvenir. »
« Dans certaines circonstances, on ne pense pas être capable d’avancer, mais on avance quand même. On ne fait « que conduire », histoire de s’occuper les mains et l’esprit en attendant que la vie reprenne son cours et que le temps fasse son œuvre, révélant peu à peu la forme que prendra notre existence dans les années à venir. »
« Je suis en chute libre, mais j’attrape tout ce qui s’offre à moi pendant cette chute. Oui, c’est peut-être un bonne façon de résumer la situation. J’ai renoncé à l’alcool, je ne crois pas en dieu, et mes histories d’amour se sont mal terminées, mais je trouve maintenant mon bonheur et mon ivresse dans le monde qui m’entoure. »
— L’écart, roman d’Amy Liptrot, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Karine Reignier-Guerre, Éditions Globe, août 2018 —
Je viens de le recevoir !
Il est magnifique, ce roman.
une belle critique comme toujours sur un sujet difficile mais dont il convient de parler car cela touche malheureusement de nombreuses personnes. Merci Nadège pour ce partage. Excellent weekend et bises bretonnes 🙂
Un récit tout en sensibilité sincérité, et la nature salvatrice. La beauté et les richesses du monde qui font nous sentir vivant… bon week-end, bises.
Celui là je l’ai noté tout de suite, avant même la lecture du moindre billet, surtout pour le retour vers la terre d’enfance et les paysages 😃
Oui, c’est une ode à la nature, à sa richesse, à ses beautés, à sa force.
Quel voyage ce livre!
C’est exactement ça, oui! Un double voyage même : voyage sur les îles Orcades et un voyage intérieur qu’on partage avec la narratrice.
Je suis tentée mais la longueur sur un tel sujet me fait hésiter.
Personnellement, je me suis laissée prendre par ce livre mais j’imagine que certains peuvent ressentir un certain ennui par moments…
C’est un sujet qui n’est pas souvent traité, à part dans la grip lit, l’alcoolisme des femmes.
Tiens je ne connaissais pas la « grip lit »… oui l’alcoolisme féminin est rarement abordé dans la littérature. Amy sait de quoi elle parle, ça « transpire » de sincérité, c’est beau et poignant.