Les enfants de ma mère – Jérôme Chantreau

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Nous sommes en 1968 à Paris. Non loin du Parc Monceau, Françoise et ses enfants Nathalie et Laurent foulent pour la première fois le sol de leur appartement rupin au 26 rue de Naples. Françoise a vingt-cinq ans, son mari n’est pas là, comme souvent. Il travaille. Elle, elle est avec les enfants, comme toujours. Elle aura la charge de rendre cet endroit agréable et confortable. Elle, la femme au foyer, elle qui a arrêté l’école si tôt, elle qui ne se plaint jamais.

Treize ans plus tard au 26 rue de Naples, les enfants ont grandi auprès d’une mère aimante mais captive d’une vie qui ne la satisfait pas, et d’un père distant à l’indifférence non feinte.

Nous sommes en 1981. Françoise se rend seule dans le bureau de vote et tremblante glisse dans l’enveloppe un bulletin rose. Sur les affiches, sur les lèvres, dans l’air du temps, on lit, on entend, on veut croire à ces mots emplis de promesses : changer la vie. Le jour où Mitterrand devient président, le mariage de Françoise se brise, une vie nouvelle s’offre à elle.

Un vent de liberté souffle au 26 rue de Naples, la porte s’ouvre, comme le cœur de Françoise. Grisée par son émancipation, elle papillonne en amour en amitié, elle vient en aide à la jeunesse marginale, elle travaille mais vit une vie de bohème, néglige ses propres enfants. Ses désirs, le personnage de « bon samaritain » qu’elle s’est façonnée, ses rêves artistiques se réduisent comme une peau de chagrin.

Nous sommes dans les années 90, Dans la tête de Laurent son fils, c’est la confusion, le désordre, la rage, l’incompréhension. Sous influence, avec l’envoûtant Victor et Andréa, ils marchent sur les toits de Paris, avancent tels des funambules indociles dans la vie qui les dépasse, désertent l’école, créent un groupe de rock, jouent avec le feu…

Une mère et un fils, une quête de sens, des espoirs des excès des désillusions, la peinture et la littérature comme échappatoire, vingt ans de vie dans un Paris fragile et changeant.

« Pour le moment, il entrait en sixième, et c’était Nathalie qui se montrait la plus brillante à l’école. L’espérance des débuts avait fait place à une routine bien réglée qui ressemblait à une vie harmonieuse. Les années passaient avec une rapidité stupéfiante. Qu’est-ce qui fait passer la vie si vite? se demandait Françoise. L’ennui ou bien le bonheur? Est-ce d’avoir vécu quantité de choses ou de n’avoir rien vécu? Le plein ou le vide? »

« Avant de descendre, ils prirent le temps de respirer l’air des sommets. Il leur parut doux, comme un grand bol de Benco qu’ils avalèrent d’un trait. Cet air, balayant tous les toits, leur apportait les rêves des enfants perchés comme eux, le regard perdu dans l’horizon. Des microparticules, poussières en suspension de leur habitat familier, circulaient dans leur corps. Ils inhalaient la ville comme en un rite vaudou. Au-dessus du mont Valérien, la couche rose de pollution dessinait l’aura magnétique de Paris. »

« Victor et Laurent percevaient, dans la déambulation des choses et des gens, une force de destruction qu’ils associèrent au travail. Non pas à l’effort – ils rêvaient de composer des chansons nuit et jour sans dormir -, mais à l’asservissement du quotidien. Le bureau avait raison de tous, y compris des êtres les plus purs qui soient : les jeunes femmes en jupe à fleurs. La vie laborieuse érodait les gens comme une rouille. Elle abaissait les têtes et les espérances. Elle ne faisait pas de prisonniers. »

Les enfants de ma mère, roman de Jérôme Chantreau, éditions Les escales, Août 2018 —

10 commentaires sur “Les enfants de ma mère – Jérôme Chantreau

      1. Nous sommes le 12 octobre aujourd’hui et il fait toujours soleil… d’ailleurs on manque cruellement d’eau dans notre région…

  1. L’émancipation féminine est toujours un combat, et cela ne doit pas être si facile quand on vit dans un bel appartement à Paris, de ne pas se laisser engluer dans une vie dorée.

  2. Merci Nadège pour cette belle chronique des Enfants. J’aime que vous y ayez vu un « Paris fragile ». Je vous aurais bien repris cette image…

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