Entre deux mondes – Olivier Norek

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D’emblée, nous savons que cette lecture empathique sera éprouvante. Quelque part en mer Méditerranée, nous sommes dans cette frêle embarcation parmi les migrants entassés écrasés les uns contre les autres figés par le froid la peur l’inconnu. On entend un enfant tousser, on voit la terreur dans les yeux  de sa mère quand le passeur avance vers eux… et l’immensité silencieuse de la mer. Puis changement de décor, nous nous retrouvons au milieu de la Jungle à Calais, la veille du démantèlement du camp. Alors que les pelleteuses s’affairent, un homme en guenilles sort des bois tel un spectre, une mince lueur d’espoir dans les yeux, ses mains fouillent le sol… en vain, son regard s’enténèbre, il disparaît comme il est apparu.

Ce roman relate la réalité d’hommes de femmes et d’enfants qui luttent pour leur survie, résistent à l’adversité, espèrent l’effondrement des murs, rêvent de liberté. Ils ont fui un pays en feu au péril de leur vie, avec dans la tête une destination privilégié : l’Angleterre. Ainsi, soudanais, afghans, syriens, libyens, érythréens, irakiens… terminent leur dangereux périple aux portes de leur eldorado, à Calais. Les tentatives de traversées sont nombreuses et souvent mortelles. Le camp est devenu avec le temps une « ville » de plusieurs milliers de personnes avec des rues, des échoppes, des vols, des viols, des rixes, des conditions d’hygiène et de santé déplorables. Et à la lisière du camp, la police, observatrice distante semble impuissante face à La jungle, zone de non-droit.

Avec détails et force, Olivier Norek décrit cet endroit, cet « entre deux mondes », ce sas, ce purgatoire et intègre l’Histoire dans une fiction policière à travers les histoires d’Adam le réfugié syrien ancien flic venu retrouver à Calais sa femme et sa fille, Bastien le policier français récemment muté bienveillant et indigné par ce qu’il découvre, Kilani l’enfant soldat soudanais à la langue arrachée sauvé de mains agressives par Adam. De l’entrelacement des existences à la rencontre de solitudes émanent une grande humanité qui amène à la réflexion et en fil rouge de mystérieux assassinats intriguent et troublent.

Un grand roman noir au plus près de l’humain, dans ce qu’il a de meilleur et de pire.

« Quand ils (les iraniens) sont arrivés sur place, ils ont vu un morceau de forêt, alors ils ont appelé l’endroit « la Forêt ». En langue perse, jangal. Ici, on a entendu « jungle », prononcé à l’anglaise. Un simple quiproquo. « 

« -Vous déconnez ou quoi? Vous savez qui ils sont ces migrants, vous me l’avez dit vous-même. Des types qui fuient un pays en guerre et qui cherchent à retrouver leur famille en Angleterre. On ferait tous la même chose dans leur situation. Comment pouvez-vous en parler comme de lapins de gibier, de Walking Deads ou de zombies, de vulgaires immigrés qu’on traque? (…) – C’est vous qui déconnez, lieutenant, avec vos trois semaines d’expérience. Laissez-moi vous faire un point. Cortex, celui qui fait toujours le malin, en est à sa deuxième dépression. Sprinter, celui qui nous surveille dans les airs, a fait une tentative de suicide l’année dernière. On est tous à bout. « 

« Le sang battait fort à ses tempes, son souffle devient plus court, saccadé, comme si l’air n’était plus respirable. Sa vision se troubla, sa course devint presque aveugle, et lorsque les phares d’un imposant bahut de trente-trois tonnes l’éblouirent, la lumière violente devint flammes, immenses, brûlantes, et tout autour de lui s’embrasa. Il entendit alors les cris provenant des huttes de son village, leurs toits en feu sous un nuage noir de cendres. Le claquement des mitraillettes. Son lac. Le Nil Blanc. Son océan vert en herbe grasse. Il entendit la voix de sa mère l’appeler au loin. « Ayman ! » Il s’écroula, inconscient, sur le bord de la route, sur une herbe jaunie, nourrie aux gaz d’échappement. »

Entre deux mondes, roman d’Olivier Norek, Éditions Michel Lafon, Octobre 2017 —

7 commentaires sur “Entre deux mondes – Olivier Norek

  1. Déjà, Norek a toujours tendance à mettre nos nerfs à rude épreuve. Mais c’est vrai qu’avec ce sujet là, il touche particulièrement la corde sensible en ce moment. Bref, j’ai hâte de le lire. Le père Noël l’a offert à ma mère, faut qu’elle le lise et que je lui emprunte 🙂

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