Jamais je n’aurai cru être si touchée par ce genre de roman ayant pour toile de fond la boxe et la violence dans les rues siciliennes, sur les rings de Palerme et dans un camp de prisonniers en Afrique. Les existences d’hommes d’une même famille s’enchevêtrent : Rosario le grand-père, Francesco « Le Paladin » le père – mort dans un accident de voiture avant la naissance de son fils – , Umbertino l’oncle, Davidù le fils « Le Poète » – le narrateur aussi –, et se déroulent sur cinquante ans, 1940-1990. Au commencement du roman, le fils a neuf ans et il monte pour la première fois sur un ring. S’en suivra un-va-et-vient incessant d’un homme à l’autre, d’une époque à l’autre, d’un lieu à un autre. Des affres de la seconde guerre mondiale aux attentats de la Mafia en Sicile, chacun avance et tente de rester debout. Même terrassés par l’ennemi, Rosario, Umbertino et Davidù sauront se relever. Par résonnances, par expériences, ils marchent d’un même pas sur cette terre. Les coups s’enchaînent : les coups de poings, les coups du sort, les coups de fusil, les coups de coeur, les coups pour rien, les coups de tête.
Du taiseux grand-père, Davidù apprend ce que sont l’amitié et la force mentale, de l’impétueux Umbertino, il s’exerce à frapper, esquiver les coups et à respecter les femmes, grâce aux récits familiaux sur Francesco son père il honore sa mémoire en poursuivant ses rêves de boxeur, de Nina « la fillette aux yeux noirs qui sent le citron et le sel » il comprend ce qu’aimer veut dire, de Gerruso le garçon dont tout le monde se moque il découvre la bienveillance, quant à Provvidenza sa grand-mère, elle lui enseigne l’importance du langage, de l’articulation de la pensée.
Ce premier roman est un coup de maître.
« Tu sais ce que je voudrais ? Voler le froid de l’hiver, et comme ça, quand viendrait le sirocco, j’aurais toujours le frisson du vent sur la peau et un peu dans le coeur aussi. Dans les histoires, par contre, je voudrais me souvenir seulement de l’instant d’avant. L’instant avant de pêcher un poisson, l’instant avant de toucher un sein, l’instant avant de goûter une orange. Et après, si j’apprends à écrire, je ferai une histoire toute avec des « ne pas » : quand je ne suis pas parti, que je ne t’ai pas dit au revoir, que je ne suis pas allé ailleurs, que je ne travaillerais pas pour un patron et qu’il n’y a pas eu la fête sur la place et que je n’ai pas dansé (…). En tout cas, je cours plus vite que toi. (…) Et ils coururent ensemble, quittant l’enfance, l’un à côté de l’autre, pour la dernière fois de leur vie. »
« Franco avait la bouche grande ouverte.
Umbertino avait volé de sa chaise jusqu’au bord du ring.
C’était la réplique, identique dans les temps et l’action, de l’attaque qui avait permis au Paladin de triompher au régional.
À quel point mon père, des années plus tôt, leur avait manqué, ce fut à cet instant qu’ils le comprirent.
Les genoux de Gaetano Licata plièrent.
Il détacha son gant droit des corde pour créer la distance, mais son bras ne répondit pas à la vitesse espérée.
Il était lent, lourd.
Ses supporters s’étaient tus.
Leur boxeur était en miettes.
Tu veux savoir qui je suis ?
Ouvrant l’épaule, je lançai mon poing gauche en l’air.
Je suis le poète.
Je le frappai en plein visage.
Son protège-dents vola au loin.
Ils te plaisent mes poèmes ?
Gaetano Licata commença à tomber de côté.
Non, pas comme ça.
Le requin n’a pas fini.
Un autre crochet l’atteignit à la tempe.
Un coup si urgent qu’il n’avait même pas été réfléchi.
Il s’écroula, comme s’écroule un mur.
Férocité, tu es de retour. Tu m’as manqué. »
« – La main apprend le mouvement pour dessiner la voyelle, et le corps, par la répétition, apprend les mouvements de frappe et d’esquive.
– Tu veux dire que la main apprend ?
– Le corps a sa propre intelligence. C’est une feuille sur laquelle on écrit.
– Mmm, si tu le dis.
– Tout est écriture.
– Tout ?
– Oui.
– Même la pasta con le sarde ?
– Oui.
– Et les hanches des filles ?
– Oui.
– Et les attentats à la bombe ?
– Oui.
– Et ils écrivent quoi, ces mots de coups de poing et de feintes ?
– L’histoire de ma famille. »
— Sur cette terre comme au ciel, roman de Davide Enia, traduit de l’italien par Françoise Brun, Éditions Albin Michel, Août 2016 —
Et bien, moi non plus, ce n’est pas un sujet qui me tente mais visiblement, il faut dépasser son aversion pour la boxe.
Oui la boxe est un prétexte, le roman est très beau.
Tous ces « coups » de la vie que tu décris avec doigté ma Nadège. Il y a des sujets qui ne nous ressemblent pas et qui nous surprennent parfois. Le livre en est que plus fort.
Ton extrait est déjà très beau et juste… ❤
Je t'embrasse
Un roman dur mais nécessaire. Et pour un premier roman, c’est très réussi. Quelle écriture, quel style! Je t’embrasse.
Un de mes plus gros coups de coeur de cette rentrée, il faut promouvoir ce livre, c’est sûr. Une merveille bourrée d’émotion et d’intelligence
Pas un coup de coeur pour moi mais une plaisante lecture.