Les règles d’usage – Joyce Maynard

dsc00127New York, fin d’été, 11 septembre 2001. Un cataclysme ébranle la planète entière. Déluge de violence et de terreur, folie des hommes ; les Tours Jumelles du World Trade Center ne sont plus. Détruites, comme des milliers de vies. Une fumée âcre enveloppe la cité, s’insinue partout, dans les yeux, dans les coeurs. Elle embue les esprits, déposant son voile mortuaire. Après l’effroi et la sidération, les photographies des disparus tapissent les murs alentour. Telle une lueur d’espoir, ces visages figés, encore accrochés à la vie, sourient.
Et parmi ces portraits, il y a celui de Janet. La mère de Wendy, une jeune fille de treize ans. Elle travaillait dans l’une de ces tours… Wendy est auprès de son beau-père Josh et de son demi-frère – elle déteste cette idée d’une moitié de frère ! –. Cette famille recomposée, aimante, est évidemment désorientée, déséquilibrée, désarçonnée. À mesure que le temps passe, le chagrin et la tristesse s’installent. Il faut continuer à vivre, malgré la perte. Endosser son costume de deuil. Mais quand on a treize ans, le tunnel de l’adolescence est déjà tellement nébuleux… en entrevoir la fin semble inimaginable sans la voix, l’épaule, la douceur, l’expérience d’une mère… Wendy, en pleine métamorphose, va partir en quête de lumière. Grandir quand même, sans elle.
Son père, qu’elle connait à peine, vient la chercher et l’emmène avec lui en Californie. Changer d’endroit, modifier les habitudes, apprivoiser un père, rencontrer des gens – Caroline, une belle-mère attachante passionnée de cactus ayant abandonnée son enfant à la naissance, une adolescente fille-mère qui se débat tant bien que mal avec son bébé, un jeune garçon solitaire et sensible à la recherche de son grand frère, un libraire bienveillant qui la guide dans ce passage obscur de l’adolescence en lui donnant des livres comme le journal d’Anne Frank entre autres, le fils autiste du libraire… –, pour apprendre à se connaître elle-même, prendre conscience de ce qui lui arrive, l’assimiler, mettre des mots dessus. Et se projeter dans l’avenir.
La disparition d’une mère, l’épreuve d’un deuil, une fille qui grandit trop vite. Une famille ordinaire désarmée, des existences brisées parmi tant d’autres. L’intime et l’universel liés. La quête d’une vérité. La peine, la rage, la douleur, la force. S’accoutumer à l’absence. Et ne pas lâcher la vie qui roule et déroule ses sillons, poursuivant sa course folle.
Ce roman s’est emparé de moi et a déposé une marque indélébile. Un coup au coeur.

« Qui savait à quoi était censée ressembler une jeune fille qui a eu une mère pendant treize ans de sa vie, et qui tout à coup, un beau jour n’en a plus ? Maintenant qu’elle était cette jeune fille-là, elle connaissait la réponse. Elle ressemblait à n’importe qui. « 

« On a envie de laisser tomber, reprit-il dès qu’il put parler. Sauf qu’il faut continuer. Il faut se lever le matin et verser des céréales dans les bols. On continue à respirer, qu’on le veuille ou non. Personne n’est là pour t’expliquer comment c’est supposé marcher. Les règles d’usage ne s’appliquent plus. (…) On continue à se lever chaque matin en sachant que ça durera peut-être dix mille matins de plus. On préférerait être celui qui est mort. En quoi ce serait mieux? »

« Autrefois, Wendy croyait qu’il y avait un ensemble de règles dans la vie, dont la principale était que certaines choses, comme sa famille et le monde où l’on vivait, ne devaient jamais changer. Ses parents étaient aussi indissociables du paysage que les lions flanquant le perron de la Bibliothèque municipale de New-York ou – elle aurait pu vraiment y penser en ces termes avant – les tours jumelles au bas de Manhattan. Le fait que votre mère ait purement et simplement disparu, et que votre père, votre géniteur que vous connaissez à peine, vous emmène quelque part à cinq mille kilomètres de distance pour découvrir une vie complètement nouvelle avec lui était aussi impossible que renvoyer la pluie dans le ciel. »

« Ce sont les moments de dissonances que la mémoire conserve, dit Garrett. »

« Quand on a un enfant, il se passe un phénomène bizarre, lui avait dit un jour sa mère. Le truc dont j’avais le plus peur, c’était la mort. Mais une fois que je t’ai eue, ce n’était plus pareil. Le pire, ce serait qu’il t’arrive quelque chose. » 

coeur

Les règles d’usage, roman de Joyce Maynard, Éditions Philippe Rey, Septembre 2016 —

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17 commentaires sur “Les règles d’usage – Joyce Maynard

  1. Vous êtes nombreux à apprécier ce roman mais je crois que je vais attendre de mon côté, je ne suis pas assez fan de l’auteure pour me précipiter 😉

    1. C’est la première fois que je lis Joyce Maynard, je ne peux donc pas comparer avec ses romans précédents mais celui-ci, je l’ai vraiment aimé.

  2. Les romans de Joyce Maynard me tentent toujours, elle a le chic pour trouver des sujets qui m’attirent ;0) Je note celui ci grâce à toi, et mets ton billet dans vos plus tentateurs. Bises Nadael, bonne semaine

    1. Voilà longtemps que je voulais lire Joyce Maynard, c’est enfin chose faite, et maintenant, j’ai très envie de lire ses autres romans. Elle parle très bien de l’adolescence. Bises.

  3. À l’endroit où les tours jumelles ont existé se trouve aujourd’hui le « Memorial du 11 septembre ». Deux trous béants dans lesquels se jettent une chute d’eau. Tous les noms des victimes y sont gravés. Des centaines de personnes vont s’y recueillir chaque jour. J’ai pleuré les deux fois où j’y suis allée. Un silence respectueux y règne. « Il faut continuer à vivre malgré la perte », c’est ce que les gens semblait se dire…
    Ce roman doit être infiniment touchant. Écrit par une auteure que j’ai très envie de découvrir alors je me le garde précieusement sur une liste quelque part…
    Merci ma Nadège

    1. Oui, ce roman ne peut pas laisser indifférent. C’est émouvant mais sans pathos et puis il y a le regard de l’adolescence sur le monde d’autjourd’hui. C’est beau, bien écrit. Tu aimerais, c’est sûr.
      J’imagine à quel point cela doit être touchant de se recueillir devant le Mémorial… Je t’embrasse.

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