Années soixante-dix. Fanon a quatorze ans. Elle zone au pied des HLM, assise sur sa mobylette. Elle discute avec les uns les autres, puis s’en va quand ça lui chante. Seule, elle traverse la forêt qui la sépare de chez elle, enfin de la maison familiale. Elle passe du bruit au silence, de la cité à la campagne, des néons aux lumières tamisées… elle va et vient, ne reste jamais au même endroit, toujours en partance. École buissonnière, parents perdus… Déraisonnable, en équilibre instable, elle expérimente, s’hasarde sur des chemins tortueux, franchit les limites. Elle s’applique pourtant à ne pas s’enliser même si on perçoit une fièvre à l’intérieur. Une jeune fille en quête de liberté ou en fuite ?
À rebours, l’histoire de Fanon est déroulée. Elle se reconstitue fil à fil chapitre après chapitre; des fragments de vie, des instants, des situations, des sensations, des peurs, des douleurs… Animal sauvage et pourtant fragile, grande et petite, on découvre Fanon peu à peu. Elle prend chair sous nos yeux, sa personnalité se compose, son enfance s’affiche, son passé précise son présent.
L’écriture est serrée, ne s’embarrasse pas de détails, va à l’essentiel. Cinématographique, elle fait le mouvement, comme dans un travelling : les descriptions, les sentiments, les faits se succèdent, fluides. On avance, on ne s’attache pas. On est dans le visuel et la réalité factuelle.
Et par touche, la nature apparaît. La forêt pénétrante, les animaux libres et captifs… Vérité crue et douce poésie se confondent… Mais qui est Fanon ?
Une lecture fascinante.
« Elle est assise sur sa mobylette devant un HLM de quatre étages. À ses côtés, un jeune homme d’une vingtaine d’années. Ils discutent sous la lumière blafarde du hall d’entrée. Il est tard dans la nuit. Au moment de partir, elle lui demande s’il vient samedi. Pas de réponse. Une bise, elle met son casque, démarre et s’en va. La jeune fille descend la rue, longeant les immeubles, tous identiques. C’est désert. À sa gauche, un bois, elle bifurque, les chemins sont goudronnés. Le parcours est accidenté, montées, descentes, la mobylette tressaute. Ses longs cheveux dépassent du casque, elle lève les fesses pour passer les bosses. À la lueur de son phare, elle distingue le bas des troncs d’arbres, à quelques mètres devant. Elle connaît parfaitement son chemin. Un petit halo de lumière éclaire son visage poupin. Tout autour, la forêt, le grand noir. Elle sillonne gaiement. La mobylette débouche de la forêt dans une rue de banlieue parisienne et reprend sa course, le long des pavillons, des maison. Elle ne croise aucune voiture. Pas de lumière aux fenêtres, sauf une, toujours la même, au fond d’une impasse. La jeune fille ralentit, regarde et passe son chemin. Arrivée devant un portail en fer, dans l’ombre du soir, une grande maison et son jardin. Elle coupe le moteur, pousse en silence la mobylette sur l’allée de gravillons et disparaît dans le noir. Elle s’appelle Fanon, elle a quatorze ans. »
« Chaque jour comme un siècle, chaque jour à des kilomètres, son esprit gommera petit à petit leurs visages, elle oubliera leurs voix. Trop de douleurs à se souvenir. Sa fuite sera complète, absolue, jusqu’à ce qu’ils la retrouvent. Malgré sa culpabilité, elle remettra toujours au lendemain le geste de poster la carte postale qui leur disait : JE NE SUIS PAS MORTE. Tant pis pour moi, tant pis pour eux, se dit-elle. »
— Petit animal sauvage, roman d’Anne Françoise Brillot, Mercure de France, Septembre 2016 —
bien tentant je n’en ai pas entendu parlé !
Un premier roman réussi.
Quête de liberté ou fuite? J’ai toujours trouvé la nature propice à y répondre. Il a l’air très beau ce roman que tu nous proposes ma Nadège. Tu as dû prendre plaisir à découvrir cette jeune femme…
Bises
Un très beau roman, que tu aimerais, j’en suis sûr… et c’est un vrai personnage de cinéma, cette Fanon…Bises.