Si Moïse, dit Momo, habite dans la rue bleue, sa vie est plutôt morose. Sa mère est partie depuis des lustres et son père, dépressif, ne lui montre aucune affection. À treize ans, son rêve est d’aller enfin à la rencontre d’une des prostituées qu’il voit du matin au soir et du soir au matin défiler sous sa fenêtre, un souhait qu’il exaucera en cassant sa tirelire… Et si à deux pas de là, Monsieur Ibrahim, épicier arabe, passe ses journées assis, figé sur son tabouret, il semble pourtant voyager très loin dans sa tête et la rue bleue prend ainsi tout son sens.
Le jeune juif et le vieil arabe se voient souvent car chez lui, c’est Momo qui prépare les repas et fait le ménage. Avec les quelques sous donnés par son père, il va et vient à l’épicerie, achète un peu, vole beaucoup, des boîtes de conserve. Mutique, Monsieur Ibrahim observe avec indulgence le manège du jeune homme jusqu’au jour où le début d’un dialogue s’instaure entre eux. Une conversation que seule la mort viendra rompre.
Avec sa sagesse – de musulman soufi – et sa bienveillance, Monsieur Ibrahim va réussir à dessiner des sourires sur le visage de Momo. Lui enlever du coeur le poids lourd qui lui pesait tant, l’étouffait. Et lui insuffler de la légèreté, de la douceur, de la beauté, de l’amour. Lui apprendre à regarder, observer, contempler, imaginer, réfléchir. Avec sa fougue et son audace, Moïse parviendra à faire descendre l’épicier de son tabouret, à quitter la rue bleue, à voir Paris en sa compagnie, puis à prendre la route vers le Moyen-Orient, là où tout a commencé pour Monsieur Ibrahim. L’endroit qu’il a choisi pour s’éteindre dans la sérénité et transmettre à Momo la lumière de son pays.
De la bonté, de la tolérance, de l’humanité. De l’humilité, de la tendresse, des sourires.
« Grâce à l’intervention de monsieur Ibrahim, le monde des adultes s’était fissuré, il n’offrait pas le même mur uniforme contre lequel je me cognais, une main se tendait à travers une fente. »
« – Lorsque tu veux savoir si tu es dans un endroit riche ou pauvre, tu regardes les poubelles. Si tu vois ni ordures ni poubelles, c’est très riche. Si tu vois des poubelles et pas d’ordures, c’est riche. Si tu vois des ordures à côté des poubelles, c’est ni riche ni pauvre : c’est touristique. Si tu vois les ordures sans les poubelles, c’est pauvre. Et si les gens habitent dans les ordures, c’est très très pauvre. »
« Et c’est là que, pour la première fois, j’ai vu des hommes tourner. Les derviches portaient de grandes robes pâles, lourdes, souples. Un tambour retentissait. Et les moines se transformaient alors en toupies. – Tu vois, Momo ! Il tournent sur eux-mêmes, ils tournent autour de leur coeur qui est le lieu de la présence de Dieu. C’est comme une prière. – Vous appelez ça une prière, vous ? – Mais oui, Momo. Ils perdent tous les repères terrestres, cette pesanteur qu’on appelle l’équilibre, ils deviennent des torches qui se consument dans un grand feu. Essaie, Momo, essaie. Suis-moi. Et monsieur Ibrahim et moi, on s’est mis à tourner. Pendant les premiers tours, je me disais : Je suis heureux avec monsieur Ibrahim. Ensuite, je me disais : Je n’en veux plus à mon père d’être parti. À la fin, je pensais même : Après tout ma mère n’avait pas vraiment le choix lorsqu’elle… – Alors, Momo, tu as senti de belles choses ? – Ouais, c’était incroyable. J’avais la haine qui se vidangeait. »
Un grand merci à Nadine de m’avoir offert ce roman.
— Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, roman d’Éric-Emmanuel Schmitt, paru en 2001 —
Je suis si heureuse ma Nadège que tu l’aies aimé. L’histoire de Momo avec Monsieur Ibrahim m’a vraiment touchée en plein coeur, j’ai tellement été émue par cette relation d’amour filial entre eux. Dernièrement, j’ai relu les six nouvelles de ce Cycle de l’invisible, j’avais envie de revenir à ces belles histoires qui finalement racontent toutes, à leur manière et à travers une religion pour chacune, une rencontre qui aura le don de changer le cours de la vie de ceux qui la vivent.
Tu en parles avec toute cette douceur que j’ai pu ressentir à le lire…
Merci pour ce magnifique billet.
Bon jeudi ma belle amie xx
On aimerait tous trouver sur notre route un Monsieur Ibrahim… Merci encore pour ce cadeau. Bises.