La poésie du jeudi avec François-René de Chateaubriand

renejacquesRené-Jacques, Le banc Boulevard Pasteur Paris, 1927

Nous verrons

« Le passé n’est rien dans la vie,
Et le présent est moins encor ;
C’est à l’avenir qu’on se fie
Pour donner joie et trésor.
Tout mortel dans ses yeux devance
Cet avenir où nous courrons ;
Le bonheur est espérance ;
On vit, en disant : nous verrons.

Mais cet avenir plein de charmes,
Qu’en est-il lorsqu’il est arrivé ?
C’est le présent qui, de nos larmes,
Matin et soir est abreuvé !
Aussitôt que s’ouvre la scène
Qu’avec ardeur nous désirons,
On bâille, on la regarde à peine ;
On vit, en disant : nous verrons.

Ce vieillard penche vers la terre :
Il touche à ses derniers instants ;
Y pense-t-il ? Non : il espère
Vivre encore soixante-dix ans.
Un docteur, fort d’expérience,
Veut lui prouver que nous mourrons ;
Le vieillard rit de la sentence
Et meurt, en disant : nous verrons.

Valère et Damis n’ont qu’une âme,
C’est le modèle des amis.
Valère en un malheur réclame
La bourse et les soins de Damis :
 » Je viens à vous, ami si tendre,
Ou ce soir au fond des prisons…
– Quoi ! ce soir même ? – On peut attendre.
Revenez demain : nous verrons. « 

Nous verrons est un mot magique
Qui sert dans tous les cas fâcheux.
Nous verrons, dit le politique ;
Nous verrons, dit le malheureux.
Les grands hommes de nos gazettes,
Les rois du jour, les fanfarons,
Les faux amis, les coquettes,
Tout cela vous dit : nous verrons. »

François-René de Chateaubriand, Poésies diverses, 1810

D’autres poèmes choisis : Asphodèle : L’air meurtri de Pierre Reverdy, Marie et Anne : L’habitude de Sully Prudhomme, Valentyne : L’amazone de François Coppée, Soène : Le chat de Baudelaire, Claudialucia : Si je devais faire un voeu de Tarjei Vesaas, Modrone-Eeguab : Gaieté de Gérard de Nerval

Lapoesiedujeudi

19 commentaires sur “La poésie du jeudi avec François-René de Chateaubriand

  1. Très beau texte de Chateau… Un grand plaisir de lecture, c’est déjà ça en ce matin.Et pour le reste, tous autant que nous sommes, nous verrons. Superbe et très troublant.

  2. J’ai un texte très sombre de Chateaubriand accroché à un mur chez moi car je le trouve très contemporain, accessible ! Cette petite phrase « Nous verrons » qui contient tant d’espoir et de vide à la fois, il avait tout compris François-René ! 🙂 J’aime beaucoup la photo du banc !!!

    1. Ce « nous verrons » est en effet aussi une sorte d’échappatoire, ne pas affronter les choses dans le présent, s’en remettre au futur… j’aime décidément beaucoup ce texte qui amène à la réflexion. Bises.

  3. Qui vivra verra… En effet, le « nous verrons » de Châteaubriand est toujours à la mode dans le langage politique 😆
    Un choix remis au goût du jour, Nadael
    Bon we et gros bisous

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