Période fauve. Le lecteur entre dans un univers saturé de couleurs, gavé de violence et de non-sens. Oppressant. Les mots se télescopent, les idées s’entrechoquent, les images défilent à toute allure. Les sensations éprouvées sont déroutantes avec cette impression désagréable de ne rien comprendre à l’histoire.
J’avoue avoir eu envie d’arrêter, de refermer ce livre. Et pourtant j’ai continué, pour savoir… J’ai bien fait.
Une femme, qui se nommerait Antigone, parle de sa fréquentation régulière, voire obsessionnelle, du Hell’s Club, des personnages étranges (certains lui voudraient du mal…) qui gravitent dans cette salle de sport, de sa passion pour la course à pied, de son poids qui ne cesse de baisser, du « nouveau » dont elle sent le regard « intergalactique » insistant et pénétrant l’envahir, de ses amis Tom et Thomas, de ses conseils en politique, du mystérieux Créon… elle aurait une mission à mener à bien… mais le chaos l’emporte, brouillage total dans son cerveau, déconnexion fulgurante, violence bestiale. Coma.
Période blanche. Anne, qui se nomme vraiment ainsi, émerge d’un long sommeil. Réveil glacial et silencieux dans un hôpital psychiatrique. Ses souvenirs semblent avoir été anéantis. Seules les quelques semaines – intenses – passées au Hell’s Club remontent à la surface, son médecin lui demande de les mettre par écrit (c’est ce que le lecteur vient de lire…).
Si le sens se fait au fur et à mesure, la mission a l’air de se poursuivre pour Anne-Antigone. De la paranoïa au jeu d’échecs, des mécanismes de la maladie à la manipulation, il n’y a qu’un pas, qu’elle franchira : la Dame noire est en quête de la Dame blanche. Les couloirs de l’hôpital lui réservent bien des surprises.
Réalité, fiction, fantasme, désir, apparence, miroir aux alouettes, médiatisation, pouvoir, paranoïa collective… les méandres du cerveau et ses capacités, l’effacement de la mémoire, ce qu’il en reste, ce qu’il en advient et ce que l’on peut-veut en faire, se donner les moyens de « recommencer » sans reproduire… autant de thèmes abordés dans ce roman atypique et troublant, qui bouscule et interroge.
« Quelques fractions de seconde plus tard, ma voix passe la barrière de mes lèvres : Et si, le 14 juillet, en pleine allocution présidentielle, vingt millions d’électeurs éteignaient simultanément leurs téléviseurs ? Et si, par des actions similaires, d’une simple pression du doigt nous décidions de faire pression sur l’avenir ? Et si la télécommande devenait l’instrument ultime de la démocratie directe? Pour une raison inconnue, j’éprouve le besoin de clarifier : À la base, il s’agissait de chercher les raisons pour lesquelles l’information transite toujours dans le même sens – de la source vers le destinataire – , et pourquoi ceux-ci ne se sont jamais organisés afin d’inverser le flux.
– Qu’auraient-ils à y gagner ?
– Le pouvoir… »
« Pour traiter certaines formes de paranoïa, les échecs constituent l’exercice idéal. (…) Pour la raison que le paranoïaque se comporte comme un joueur d’échecs – en tous points. Il élabore des stratégies, pense que les relations humaines relèvent de mouvements codifiés. (…) Parce que contrairement à ce qui se passe dans la vraie vie, aux échecs les choses sont plus claires. En aucun cas il ne s’agit de se demander comment blancs et noirs pourraient vivre en harmonie. Finalité du rapport social – la mort par étouffement. Principe du jeu – manipuler une société symbolique et inégalitaire afin d’imaginer le pire pour un adversaire – qui en fait de même à votre endroit. C’est la part animal de notre cerveau qui est mise à contribution. Celle qui a trait aux mécanismes de survie. »
— Mémoire fauve, roman de Philippe Will, Alma Editeur, Avril 2014 —
Un billet intéressant mais le sujet ne me tente pas pour le moment, tu as eu bien du mérite à poursuivre avec tous ces méandres ! 😉
Des thèmes intéressants et un style qui accroche le lecteur, même si ce n’est pas vraiment mon genre de livre.
On me l’a proposé, je suis contente d’avoir un avis, mais je crains que cet univers ne soit pas vraiment pour moi. ^_^
Il est vrai que l’atmosphère de ce roman est oppressante, en osmose avec les thèmes traités.
Brrr. J’en frissonne. Lecture bizarre, pour le moins.
Oui une lecture qui fait froid dans le dos, et qui pousse à la reflexion…
c’est amusant je lis actuellement Avant d’aller dormir De S J Watson un thriller psychologique sur une femme qui a perdu la mémoire ( il est génial) mémoire Fauve semble traiter du même sujet .
J’ai lu que du bien sur Avant d’aller dormir… Fauve parle de la paranoïa et plus largement de la manipulation, médiatique entre autres…
Tu parles d’un univers « gavé de violence et la couverture à elle seule est déjà plutôt impressionnante. Antigone serait un beau cas d’étude pour la psy que je suis! Psy pour enfants… (sourire). Ces univers chaotiques, et ces personnalités complexes et vivantes, me fascinent. Le problème pour moi avec ce genre de livre c’est que je mets une éternité à tout décortiquer la personnalité des personnages mdr.
Un très bon livre québécois, d’une auteure que j’adore, Marie Laberge, traite de la perte de mémoire et du coma. Un livre absolument génial. Le titre est « Revenir de loin ».
Bonne soirée Nadael
Je ne savais pas que tu étais psy pour enfants. Oui, alors forcément la paranoïa, ça te parle… ce roman est singulier à bien des égards, finalement il traite plutôt de la manipulation (médiatique, genre téléréalité, de la politique, du pouvoir…). Comme je l’ai écris, la première partie secoue parce que le lecteur entre vraiment dans un esprit « dérangé, malade », la deuxième partie est plus explicative. Il y a de belles trouvailles, je pense au jeu d’échecs… bref un roman intéressant mais un peu glaçant…