La fréquentation des à-pics, un titre énigmatique qui prend tout son sens au fil des nouvelles de ce recueil. L’auteure y égrène, tels des instantanés, des moment de vie de femmes, de la petite fille à la mère, de l’épouse à la veuve, de l’étudiante à la passante, de la séductrice à la junkie… Des femmes de tous âges, des années cinquante à nos jours, confrontées à un choix, à une situation dramatique, à la culpabilité, à la peur, à la maladie, à la mort, à la passion dévastatrice, à l’ineffable, aux comportements des autres … Devant elles, un regard, un visage, un mot, un geste, une image, l’imprévisible, l’incompréhension.
On croise leur existence juste avant qu’elles chavirent. Ces funambules sur leur fil, on les connait, elles nous ressemblent un peu. Elles avancent, prennent des décisions bonnes ou mauvaises, elles tracent leur route, rencontrent des obstacles, subissent des déconvenues, mais toujours se relèvent, tentent de trouver une place, leur place. Des femmes éprises de liberté…
Viviane, Maud, Irène, Anne, Laure, Carole, Claire, Marie, Valérie… autant d’équilibristes qui font face à la tristesse d’un divorce, à la douleur de la mort d’un proche, à la difficulté d’être mère, à la révélation de secrets de famille bouleversants, à la colère et à l’impuissance face à la misère… ainsi qu’à des événements plus anecdotiques, furtifs le plus souvent, mais qui s’inscrivent pour toujours dans leur mémoire.
Catherine Charrier nous emporte dans son sillon. Elle décrit parfaitement la réalité du quotidien et avec intelligence, délicatesse et pudeur, explore l’intime. Le regard posé sur ses personnages est empli de bienveillance. Son écriture est alerte voire un peu trop précipitée par moment. Et si on rencontre de très jolis passages poétiques, d’autres apparaissent plus abruptes mais cela peut être un parti-pris.
Des nouvelles bien ficelées et une résonnance maîtrisée entre chacune d’elles.
« Le jazz avait été la musique de sa vie, de sa liberté, d’une quête de volupté irrépressible. Elle ne peut pas oublier les mots de Toni Morrison : cette musique : la rendait consciente de la chair et d’une chose si libre qu’elle sentait l’odeur de son sang, consciente de sa vie en dessous de la ceinture et de ses lèvres rouge sang. »
« J’ai dix ans et je suis libre, libre comme l’air, comme un papillon dans l’air. Je pédale comme une dératée dans le vent d’automne. Ma liberté est cet animal de fer et de caoutchouc qu’on nomme alors minivélo (…). Je le dirige avec un doigté et une adresse d’amazone : je suis passée maîtresse dans l’art du zéro main, zéro pied, et j’envisage la prochaine étape – le zéro fesse – comme une perspective de jouissance vélocipédique absolue et l’achèvement de ma quête d’apesanteur. Je vis mes chutes, trop rares et trop bénignes pour freiner mon allégresse, comme quelques concessions, admissibles, aux lois de la physique universelle, qui ne sauraient s’appliquer à mes rapports avec ma fougueuse machine. »
« La porte était lourde, de celles qu’on ne ferme pas si facilement : à cause d’Alzheimer, on avait mis ces mécanismes spéciaux qui empêchent les malades de refermer seuls leur porte. Je suis partie en la claquant, il n’y avait pas d’autre solution. Étrangement, ce geste était en accord profond avec ce que je ressentais, une rupture définitive, au vu et au su de tous, une certitude éclatante, cette porte qui claquait comme un étendard, celui de mon chagrin. J’ai traversé un couloir peuplé de zombies, je ne le reverrai plus vivant, je ne reviendrai plus ici, la voiture a roulé vite! »
— La fréquentation des à-pics, recueil de nouvelles de Catherine Charrier, Éditions Kéro, Mai 2013 —
Et vlan, un nouveau (très beau) billet qui vous force à noter ce titre ! 😉
Merci! Une auteure à suivre…
Oui, je trouve moi aussi que tes chroniques sont toujours très bien écrites, et complètes. J’ai du mal à faire cela, souvent je ne me focalise que sur ce qui m’intéresse. En tout cas, nos avis sont très proches.
Merci pour ce joli compliment. J’ai l’impression que les avis positifs sont unanimes pour ce recueil.
certains nouvelles ont une fin dure, abrupte et je trouve ça bien que toutes ces nouvelles conduites par un fil rouge soient différentes dans la forme tout en se faisant écho.
Oui tu as raison, l’aspect un peu « sec » de certaines nouvelles est cohérent avec ce qui est raconté. À la première lecture, cela m’a un gêné mais cela est nécessaire pour le thème de certaines histoires et les rend surtout vraisemblables.
déjà lu de belles critiques, ton billet fini de me convaincre de rajouter ce titre dans ma liste à lire. Beau dessin sur la couverture
Oui, des nouvelles qui méritent d’être lues.
Ton impression et celles des amies lectrices corroborent parfaitement ce que je ressens sur l’auteure: belle écriture, précision et délicatesse.
Pourquoi n’essayes-tu pas la lecture de « L’Attente »? Te connaissant, tu ne serais pas déçue.
Bel été à toi!
Je lirai peut-être L’Attente s’il croise ma route. Ravie de voir que tant de lecteurs apprécient La fréquentation des à-pics, vraiment un très bon recueil.
Je ne connais pas du tout cette maison d’édition mais ton billet donne envie de découvrir l’auteur et son éditeur… bon dimanche !
Heureuse d’avoir suscitée chez toi l’envie de découvrir Catherine Charrier. Bon dimanche à toi aussi!
oui, la vie au féminin c’est un thème qui me tente et tu en parles bien alors je note aussi celui là .
Oui, elle parle des femmes et de leurs préoccupations avec justesse et sans fard.